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Coronavirus : «Pourtant, on en a vu des choses…», confie MSF Luxembourg


«Nous avons beau avoir une grande expérience à Médecins sans frontières, ce Covid-19 c'est du jamais vu. La maladie n'est toujours pas très bien connue, nous-mêmes ne savons pas énormément de choses à son sujet.» (Photo d'illustration : AFP)

L’épidémie de Covid-19 est-elle derrière nous ? Pourquoi le monde entier s’est-il retrouvé piégé dans cette crise sans précédent ? Quelques éléments de réponse, sous la loupe de Veerle Hermans, épidémiologiste au sein de l’antenne luxembourgeoise de Médecins sans frontières. Une leçon, surtout : pour la plupart les pays les plus touchés ont échoué à protéger suffisamment leurs citoyens les plus vulnérables.

Biologiste de formation et épidémiologiste forte d’une grande expérience de terrain en Afrique avec MSF Luxembourg, Veerle Hermans œuvre en tant que Program Officer de l’unité LuxOR (Luxembourg Operational Research) qui fait de la recherche opérationnelle depuis une dizaine d’années.

À seulement 36 ans, cette native de Belgique en sait déjà bien long sur les épidémies virales qui secouent la planète. Or ce nouveau coronavirus, qui demeure à ce jour insaisissable, c’est tout simplement «du jamais vu». Elle nous livre son analyse d’une crise qui a ébranlé le monde entier, pays développés comme émergents. Converser avec Veerle Hermans, c’est accéder à une parole scientifique qui empile peu de certitudes et dégage beaucoup d’humilité. Aux antipodes des polémiques et de l’hystérie qui ont agité les débats durant cette période troublée. Son éclairage jette une lumière crue sur une faille commune à toutes les nations lourdement touchées : le manque de protection des personnes vulnérables.

En quoi consiste votre métier et votre action au sein de MSF Luxembourg ?
Veerle Hermans : Je fais partie de l’équipe LuxOR composée de onze personnes, chercheurs et scientifiques. Nous faisons de la recherche opérationnelle de terrain pour évaluer ce qui fonctionne bien ou moins bien. L’objectif est d’améliorer les choses voire de provoquer des changements au niveau des pratiques et des politiques de santé, sur le terrain jusque dans les ministères de la Santé.
Je suis basée à Bruxelles, d’autres membres se trouvent au Canada et à Londres. Chacun dans son domaine d’expertise doit être réactif aux urgences, qu’il s’agisse des soins infantiles, de la santé maternelle, des violences sexuelles, et bien sûr des épidémies. Nous devons tous faire preuve de flexibilité afin de pouvoir répondre à ces urgences.
Pour ma part, j’ai travaillé en Sierra Leone, au Libéria durant Ébola, puis dans le pool d’urgence en République démocratique du Congo face à des épidémies de choléra et de rougeole notamment. J’ai effectué quatre missions de ce type avant de rentrer en Belgique. Je suis maman de deux enfants, c’est donc beaucoup plus difficile d’aller courir dans la brousse! (Elle rit). Mais les épidémies occupent toujours une grande partie de mon travail et je continue d’apporter un appui aux épidémiologistes qui sont sur le terrain.

L’ampleur de la crise du Covid-19 a pris tout le monde par surprise. Sauf peut-être les spécialistes des pandémies dont vous faites partie ?
Nous avons beau avoir une grande expérience de ces questions, ce Covid-19 c’est du jamais vu. La maladie n’est toujours pas très bien connue, nous-mêmes ne savons pas énormément de choses à son sujet. Il est donc très difficile de prévoir son évolution ou comment elle va se comporter en Afrique du Sud ou en Amérique latine, par exemple.

Un retour du virus ? C’est très probable

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Devons-nous malgré tout craindre des résurgences dans les semaines ou mois à venir ?
Le contexte et les paramètres sont très spécifiques. On voit qu’en Europe, la maladie se stabilise alors que l’épicentre s’est déplacé aujourd’hui au Brésil et aux États-Unis. Les différentes mesures qui ont été prises pour freiner la propagation du virus ont clairement eu un effet positif. Maintenant la maladie peut-elle revenir dans quelques mois? C’est très probable. Encore une fois, il est difficile de le savoir précisément. Nous travaillons avec des modèles et des prévisions, mais ce virus nous oblige à en changer tout le temps. D’une semaine à l’autre, ce n’est jamais pareil. En Afrique, on n’a pas vraiment de visibilité quant à l’amplitude que nous avions envisagée. Ceci en raison du manque de capacités en tests, qui nous permettent d’établir des modèles prévisionnels. L’important actuellement est donc de collecter un maximum de données et de fournir un support aux ministères de la Santé.

Dans leur grande majorité, les pays touchés ont donc opté pour un confinement de leur population, à l’exception de la Suède à contre-courant du reste de l’Europe. Qui avait raison finalement ?
Chaque pays s’appuie sur son conseil scientifique pour prendre de telles décisions. La Suède n’est pas comparable à la Belgique ni au Luxembourg. Cela dépend du contexte social, de populations différentes, etc. On ne peut pas dire qui a bien fait les choses ni qui les a moins bien faites. Ce qui est acceptable ou ce qui ne l’est pas. Tout simplement parce qu’on ne sait pas comment réagit le virus ici ou là. Il est évident que la situation ne sera pas la même dans un camp de réfugiés où les gens sont les uns sur les autres et ne peuvent pas respecter la distanciation sociale ou les règles d’hygiène.

L’Union européenne a rouvert un pont aérien humanitaire avec l’Afrique (lire ci-contre). Est-ce suffisant pour aider des pays fragilisés par tant d’autres maux ?
L’épidémie a déjà causé des soucis ici, alors vous pouvez imaginer là-bas sans matériel de protection, équipements médicaux ou personnels humanitaires. Ce pont est un premier pas important, c’est une très bonne nouvelle de pouvoir envoyer du matériel, des travailleurs humanitaires car ceux qui sont sur place sont très fatigués. Il faut pouvoir les relayer en toute sécurité, relancer les chirurgies, les soins pédiatriques, la lutte contre le paludisme et la malnutrition… et poursuivre les projets retardés à cause de la fermeture des espaces aériens. Avec ou sans Covid, tous ces problèmes restent préoccupants et s’aggravent. Par exemple, au Bangladesh, on constate une réduction de 50 % des patients qui viennent chercher des soins car ils ont peur d’être infectés. C’est très alarmant.

Maisons de retraite : on peut véritablement parler de catastrophe

Nombre d’États ont souffert d’un manque de préparation au début de cette crise. Quelle(s) leçon(s) doivent-ils tirer ?
MSF reste présent en soutien des pouvoirs publics, avec de la formation, ce qui ne fait pas partie de nos missions premières à la base. Mais il y a eu des manques considérables en Europe, que ce soit au niveau des équipements ou des tests. Surtout, il y a eu des négligences dans les maisons de retraite et de soins. On peut véritablement parler de catastrophe, dans l’incapacité à protéger les personnes âgées et vulnérables, mais aussi le personnel soignant de ces établissements. Les réactions ont été trop tardives, c’est vraiment grave. Pourtant, on en a vu des choses…
S’il y a une leçon à retirer de cette crise, c’est celle-là. Il y a une nécessité d’agir là-dessus et de faire également une évaluation psychosociale. Car les gens ont été coupés de leur famille, ils ne sont pas habitués à cela et c’est une source de souffrance supplémentaire. Si une deuxième vague de l’épidémie devait se produire, il faudra vraiment être mieux préparé. Une étude a d’ailleurs été lancée en Belgique sur la réponse apportée par les maisons de retraite. Il faut espérer que cela permettra d’apprendre des erreurs commises.

Tout au long de la crise, la parole scientifique a occupé le devant de la scène médiatique. Au risque d’être parfois inaudible et contradictoire. Est-ce une bonne ou mauvaise chose, selon vous ?
Globalement, c’est une bonne chose. C’est important de consulter les virologues et les infectiologues. Mais ces derniers doivent se mettre d’accord avant de s’exprimer. Disons que leurs propos doivent être plus nuancés dans les médias, pour être davantage compréhensibles du grand public. On peut bien sûr être en désaccord, ne pas partager les mêmes points de vue, mais si l’on passe son temps à se contredire, cela sème la confusion.

Entretien avec Alexandra Parachini

D’autres urgences dans l’urgence

Les équipes de Médecins sans frontières n’ont d’autre alternative que d’être au cœur de la pandémie, pour soutenir des pays en difficulté et assurer la continuité médicale de l’ensemble des projets en cours, retardés par les mesures de confinement.
«Le Yémen est un pays qui n’a pas les moyens de répondre à cette épidémie, après cinq années de guerre, explique Roger Martinez-Dolz, directeur général de MSF Luxembourg. MSF fait le maximum pour maintenir ses programmes de santé réguliers dans le pays tout en répondant à l’épidémie de Covid-19. Faire venir du personnel et du matériel médical dans le pays reste une priorité.»
L’un des épicentres de la pandémie se situe au Brésil. Le responsable de LuxOR et épidémiologiste, Jo Robays, se trouve sur place, dans l’État d’Amazonas, où les taux de mortalité ont atteint des niveaux jugés alarmants. «La situation est très préoccupante. Nous pensons que notre travail peut faire la différence et nous faisons de notre mieux pour aider le plus rapidement possible», rapporte ce témoin en première ligne.

Rougeole au Congo

Mais le coronavirus n’est évidemment pas la seule urgence à traiter et «les équipes de MSF doivent pouvoir se déployer dans les zones affectées par d’autres maladies qui continuent de tuer silencieusement». C’est le cas de la rougeole en République démocratique du Congo et en Centrafrique. «Il est crucial de mettre en œuvre les mesures de prévention du coronavirus pour protéger les populations et le personnel de santé, surtout dans les pays où les capacités sanitaires sont très limitées ou fragilisées, souligne Roger Martinez-Dolz. Mais ces mesures ne doivent pas affecter la réponse à d’autres urgences vitales, comme la rougeole en RDC par exemple, où l’épidémie de rougeole est la plus meurtrière qu’ait enregistrée le pays. Et la plus importante au monde.»
Les besoins se font également plus locaux. En Belgique, par exemple, MSF intervient depuis la mi-avril auprès de plus de 120 maisons de soins. LuxOR y mène une étude dans plusieurs de ces maisons de retraite à Bruxelles. Étude qui a pour double objectif d’établir «un compte rendu approfondi des défis complexes de santé mentale liés à la fourniture de soins lors d’une pandémie de maladie infectieuse, et combler les lacunes dans la préparation aux épidémies».

Des ponts aériens ouverts

Début juin, l’Union européenne a affrété trois vols humanitaires à destination de la République démocratique du Congo par le biais d’une coopération entre la Commission, la Belgique, la France et les ONG. Trois avions ont déjà acheminé des travailleurs et quelque 40 tonnes de fret comprenant des purificateurs d’eau, de la nourriture et des fournitures médicales générales. Plusieurs autres vols sont prévus vers les pays africains où la pandémie est susceptible d’aggraver les nombreuses crises humanitaires et sanitaires existantes. L’UE a alloué en avril à l’Afrique plus de 4,5 milliards d’euros (en financements et prêts) pour aider à couvrir les besoins des pays les plus touchés.
Veerle Hermans salue cet effort conjoint, indispensable pour «assurer la continuité des projets dans des régions qui connaissent régulièrement des pics épidémiques» (lire ci-dessous). Lors de ses missions passées avec MSF, Veerle Hermans a notamment travaillé dans des hôpitaux «où les enfants arrivaient dans un état tellement grave qu’on ne pouvait plus rien faire pour les sauver». La priorité est donc de «relancer des chirurgies vitales, des soins pédiatriques, campagnes de vaccination, etc.»

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