Pendant quatre ans, des acteurs luxembourgeois, français et belges vont élaborer un programme informatique -évolutif- pour modéliser les flux de déplacements à l’échelle de la Grande Région. Un projet essentiel : pour l’instant, vu l’urgence, chaque pays travaille sur la mobilité avec des «halos de lumière qui s’obscurcissent au niveau des frontières»…
«Il s’agit d’une étape majeure de la coopération transfrontalière, se félicitait mardi Jean-Marc Duriez, le président de l’Agence d’urbanisme et de développement durable (Agape) de Lorraine-nord. Nos concitoyens attendent du concret et la mobilité est un sujet majeur.» Grâce à cet outil d’aide à la décision, la pertinence des choix politiques destinés à l’amélioration de la mobilité pourra être testée à partir de 2022.
260 000 frontaliers en 2035
Stéphane Godefroy, qui pilote le projet, rappelait quelques chiffres illustrant l’intérêt de cet investissement qui se monte à 2,9 millions d’euros (dont 1,7 financé par le Feder) : «Si aujourd’hui on dénombre 190 000 frontaliers se rendant au Luxembourg, les projections tablent sur 260 000 à l’horizon 2035. Et les flux vont se concentrer de plus en plus, notamment autour de Belval, du Ban de Gasperich et du Kirchberg où le nombre d’emplois sera multiplié par deux d’ici 2035.»
Cela ne fait aucun doute, sans de grands investissements au niveau des infrastructures, tous les axes de circulation crouleront sous la demande. Dominique Gros, maire de Metz, illustrait la situation avec une anecdote : «Vendredi dernier, je revenais de Genève par cet aéroport de Luxembourg si pratique. Mais j’ai mis 2 h 15 pour faire la route jusqu’à Metz. Dans ces conditions, il perd beaucoup de son intérêt!» Toute la Grande Région en est désormais convaincue : il est urgent de travailler ensemble pour améliorer une situation déjà très complexe.
Le lancement du projet Mmust arrive quelques jours après le séminaire franco-luxembourgeois qui s’est tenu à Paris entre les gouvernements des deux voisins. Il s’agit d’une coïncidence, certes, mais elle montre que les relations bilatérales sont sans doute en train de prendre une nouvelle dimension. Lors de la table ronde politique qui rassemblait hier François Bausch, Dominique Gros, Jean Rottner (président de la région Grand Est), René Collin (ministre wallon délégué à la Grande Région) et Jean-Marc Duriez, tous s’accordaient à donner une vraie importance à ce moment. Plutôt de longs discours ampoulés sans interfaces avec le monde réel, les dirigeants des deux pays ont préféré travailler sur des avancées concrètes.
«Les résultats de Paris sont déjà substantiels, assure François Bausch. Au lieu d’un débat stérile sur des transferts de fiscalité auxquels je ne crois pas, je préfère mettre en place des projets qui profiteront à l’ensemble de la région. Les investissements destinés au rail (NDLR : dont une troisième voie réservée au fret entre Bettembourg et Thionville) seront profitables des deux côtés de la frontière.»
Le ministre wallon René Collin semblait regarder tout cela avec envie, lui qui voit le temps passer sans que les infrastructures ferroviaires de son pays bougent. «Ces accords franco-luxembourgeois, c’est l’archétype de ce qu’il faut faire, affirmait-il. Le ferroviaire est une compétence fédérale en Belgique et je regrette les retards colossaux qui ne nous permettent pas de respecter les engagements pris il y a plusieurs années…»
Espérer une dynamique dans d’autres domaines
À l’image du projet Mmust, les politiques en venaient à espérer une même dynamique dans d’autres domaines. «Nous devons parvenir à une vision commune de l’aménagement du territoire», plaidait notamment Jean Rottner. «Il n’y a pas que le transport, enchérissait Dominique Gros. Les relations entre les partenaires de la Grande Région forment un ensemble gigantesque (économique etc.). Donnons-nous les moyens d’aider le Luxembourg!»
Finalement, c’est peut-être Éric Cornélis, chercheur à l’université de Namur (qui participe au projet Mmust) qui illustrait le mieux la situation actuelle : «Jusqu’à présent, notre vision de la mobilité dans la Grande Région se fait grâce à des outils nationaux offrant des halos de lumière qui s’obscurcissent au niveau des frontières. Ce que nous voulons, c’est une lumière uniforme sur tout le territoire.»
Dossier de Erwan Nonet.
Le Grand Genève, modèle pionnier
Un peu à l’image du Luxembourg avec la Grande Région, Genève attire beaucoup les travailleurs frontaliers (voir vidéo de présentation). La population de cette aire géographique augmente de 2 % par an, elle a passé la barre symbolique du million d’habitants il y a une dizaine de jours et compte désormais 500 000 emplois. Environ 115 000 Français passent quotidiennement la frontière Suisse. Comme dans notre Grande Région, de grandes disparités existent dans le Genevois. Si les emplois augmentent fortement en Suisse, le nombre d’habitants croît lui essentiellement en France.
En 2005, le modèle permettant de visualiser la mobilité est lancé et il se concrétise en 2009. Reprenant toute la zone transfrontalière (canton de Genève et une partie du canton de Vaud en Suisse, pays de Gex et Haute-Savoie), il est désormais mis à contribution lors de l’élaboration de tous les projets de mobilité sur ce territoire. Il permet de visualiser les effets des différentes options dans les infrastructures, mais aussi d’analyser les capacités de desserte des transports en commun, de calculer les temps de parcours ou même de modéliser les émissions de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, le modèle en est à sa troisième version.
Mmust : une première mondiale!
Jamais un modèle de déplacements n’a été réalisé sur autant de frontières. La conception du modèle multimodal est une œuvre collaborative qui prend part de chaque côté des frontières : le Liser et le ministère du Développement durable au Luxembourg (MDDI), l’université de Namur en Belgique, le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) en France vont chacun participer à la création de ce nouvel outil.
L’université de Namur, par exemple, mettra à jour les enquêtes de mobilité existantes et en lancera une nouvelle sur les préférences déclarées des habitants de la Grande Région en termes de déplacements. Le MDDI travaillera à la construction du modèle sur la base des données recueillies, une tâche ardue. Le Cerema, lui, s’attellera à tester le modèle. «Le Mmust est un outil qui cherche à reproduire la réalité, explique Sylvain Larose. Mais il faudra vérifier que tout ce qui a été mis en équation permettra effectivement de comprendre les phénomènes de déplacements.» Dans un deuxième temps, le Cerema testera la sensibilité d’un modèle qui devra être suffisamment robuste pour supporter les perspectives qu’on lui demandera.
«Connaître la réalité des choses»
Pour Stéphane Godefroy (photo), chargé de l’étude de la mobilité et des territoires à l’Agape qui pilotera le projet, le Mmust devra permettre de «connaître la réalité des choses grâce à une base de données commune», «d’améliorer les prises de décisions», «de prévoir les flux de demain et leurs impacts» et «de coopérer en créant de nouvelles habitudes de travail».
Au total, le modèle multimodal réunit 23 partenaires venus de quatre pays (la Sarre et la Rhénanie-Palatinat sont observateurs). Il représente rien de moins qu’une première mondiale : aucun modèle de ce type n’étudie autant de frontières. Il sera opérationnel au 31 décembre 2021.