Une salle de restaurant ordinaire, un midi comme un autre. À la table voisine, trois jeunes femmes, sans doute étudiantes, tentent de commander leurs plats. Un seul problème. Alors qu’elles viennent de passer cinq minutes à discuter à bâtons rompus en luxembourgeois, la commande doit se faire en français. Et là, un ange passe. Après de longues minutes d’approximations, la serveuse et les clientes semblent s’entendre. Peut-être que la commande n’était pas exactement celle espérée, mais le repas se poursuit en luxembourgeois, après ce pénible intermède linguistique.
Cette simple scène, en rien caricaturale, est de moins en moins rare au Grand-Duché. Cette fameuse jeunesse trilingue qui serait la richesse du pays souffre de ses langues. Sans généraliser, bien entendu, les tenants d’un luxembourgeois fort doivent mesurer l’impact de leur engagement.
Il n’est pas illégitime pour un pays de se doter d’une langue propre, même s’il s’agit d’un dialecte dérivé d’une autre langue. On peut s’interroger, par contre, sur la nécessité viscérale de se couper d’une autre langue, en l’occurrence le français. Sans parler de son poids historique, il suffit de se pencher sur cet espace que l’on nomme francophonie.
Aujourd’hui, dans le monde, 274 millions de personnes parlent le français. Soit 4 % de la population mondiale. Une langue présente sur les cinq continents, dans les milieux diplomatiques, dans les arts et les lettres. En Grèce, près de 800 000 personnes parlent le français. Et ce n’est qu’un exemple.
Le français est aussi très pratique pour commander dans les restaurants, comme le démontre l’anecdote qui a inspiré cet éditorial. Après tout, c’est la langue de la gastronomie.
Se priver sciemment du français, au profit d’une langue parlée dans un seul pays, par quelques centaines de milliers de personnes, est un pari que d’aucun pourrait juger périlleux.
Il ne s’agit point ici d’alimenter le délicat débat sur la langue luxembourgeoise. Il s’agit juste de rappeler l’importance du français dans un monde plus que jamais ouvert.
Christophe Chohin
Ce qui est sûr, c’est que le français ne risque pas grand-chose à Luxembourg. Le pays se francophonise de plus en plus et les emplois dans les secteurs horeca et distribution sont quasi monopolisés par des Français, pour la plupart non-résidents, et qui sont les premiers à dénigrer la langue luxembourgeoise. Ils estiment en effet – pour la plupart encore une fois -inutile d’investir dans cette langue de « seconde zone » d’un pays qui, pourtant, les nourrit.
La scène que vous décrivez est probablement caricaturale mais vraisemblable. Encore faut-il ne pas exagérer : ils savent probablement lire la carte et passer leur commande en français. S’ils ne le font pas, c’est parce qu’ils estiment qu’on ne fait pas suffisamment d’effort pour communiquer avec eux – même de manière basique – dans leur langue et qu’ils perçoivent l’omniprésence du français comme une menace.
S’en prendre systématiquement au luxembourgeois et mettre en avant l’universalité du français est contre-productif et ne sert qu’à accroître les tensions. Le respect de l’autre, de sa culture et de sa langue peut par contre aplanir bien des différends (ça va dans les deux sens bien sûr). Regardez, par exemple, vos collègues du magazine « Luxuriant » qui, systématiquement, traduisent leurs principaux articles en luxembourgeois. Là, je dis chapeau.
Ce qui m’afflige le plus dans vos propos, c’est le fait que le Quotidien est mis gracieusement à la disposition des élèves dans de nombreux lycées, histoire de les encourager à consulter la presse écrite en générale, la presse francophone en particulier (même si on trouve aussi le Tageblatt dans les mêmes kiosques). Et la langue véhiculaire dans les lycées luxembourgeois (j’exclus le Vauban et d’autres du même genre) est, qu’on le veuille ou non… le luxembourgeois. Je me dis que l’ado luxembourgeois qui fait l’effort d’ouvrir le Quotidien pour y lire que sa langue est « un dialecte dérivé d’une autre langue » et qu’il ferait mieux d’investir dans une langue universelle comme le français va sûrement l’inciter à passer sa commande au restaurant en français et se jeter sur le prochain numéro du Quotidien…
Contre-productif tout ça.
N.B. : Tiens, juste pour voir, allez une fois dire aux Basques, aux Corses et aux Bretons qu’ils parlent un « dialecte dérivé d’une autre langue » et qu’ils feraient mieux de s’en tenir au français. Juste pour voir…