Jean-Claude Juncker a qualifié «d’erreur historique» la position du gouvernement luxembourgeois sur la taxation des géants américains du numérique, dans un entretien à Paperjam le 15 novembre. Venant du dirigeant politique qui a fait grandir et prospérer l’industrie fiscale luxembourgeoise, le propos a suscité une large gamme de réactions, allant du sourire ironique à la consternation sincère. Mais sans doute y a-t-il plusieurs lectures possibles à cette attaque en règle contre son successeur à l’hôtel de Bourgogne.
À moins d’un an des législatives, ce tacle à la coalition sonne comme un appel aux électeurs luxembourgeois à réserver leurs bulletins à ses amis chrétiens-sociaux, dont la voie vers un retour au pouvoir en octobre 2018 semble déjà toute tracée. Indirectement, il s’agit aussi d’un croc-en-jambe à Pierre Gramegna, le ministre des Finances, qui ambitionne de succéder le 4 décembre à Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, poste dont le premier titulaire fut Juncker. L’on voit mal comment les grands argentiers de la zone euro choisiraient d’être présidés par un homme issu d’un gouvernement qui, selon Juncker, «n’aura pas d’influence sur l’architecture qui sera imprégnée à ce monde globalisé» ?
Balayé en 2013 par la modernité et la jeunesse affichées par ses opposants Bettel et Schneider, Juncker ne boude pas son plaisir de les cataloguer en «hommes du passé». Ce retournement de veste du président de la Commission dit beaucoup aussi de la pression qu’il subit à Bruxelles sur la taxation des GAFA. Sa commissaire à la concurrence, l’intransigeante Margrethe Vestager, a prévenu, mardi, que l’UE prendrait ses propres mesures sur la taxation de ces groupes si aucun accord n’était trouvé au niveau de l’OCDE, idée partagée par Paris mais farouchement combattue par le Grand-Duché.
Sur le fond, Jean-Claude Juncker sent que le vent tourne (lentement) et qu’il vaut mieux, dans une UE en miettes, appuyer la mise en place de l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés (Accis), mesure présentée comme le Graal à même de freiner la cupidité des multinationales. D’aucuns en doutent. L’opposition acharnée du Luxembourg à toute avancée significative risque bel et bien de faire rater un train au pays. Un comble pour un gouvernement 4.0.
Fabien Grasser