La France présente tous les symptômes de ce que l’historien belge David Van Reybrouck qualifie de syndrome de «fatigue démocratique» : à savoir, entre autres, une hausse de l’abstentionnisme, une désertion des militants, un mépris profond qui frappe les politiciens, un succès du populisme, de la technocratie et de l’antiparlementarisme. Autant de signes de la crise que traverse un système représentatif à bout de souffle. Mais paradoxalement, l’élection à la fonction suprême continue de passionner les Français, qui prouvent une nouvelle fois leur goût pour la chose publique.
La campagne présidentielle n’aura pas été à la hauteur des enjeux. Et les journalistes en sont en partie responsables, eux qui privilégient sans cesse les querelles de personnes et les petites phrases à la confrontation d’idées. Les deux débats télévisés n’auront fait qu’apporter la preuve de cette tendance : on compte les points comme lors d’un match de boxe, on ausculte les tenues et les postures, bref, on privilégie la forme au fond.
Cependant, les quatre principaux candidats représentent de véritables choix de société. Marine Le Pen est l’incarnation d’un populisme de droite qui fonde l’idée de «peuple» – le peuple n’existe pas en soi, il est toujours le fruit d’une construction sociale – sur l’ethnicité. Entre le «eux» que constituent les étrangers et le «nous» que sont les bons Français. Jean-Luc Mélenchon pourrait être qualifié de populiste de gauche à dimension sociale avec un «nous», les petites gens et les classes moyennes, et un «eux», les puissants et les spéculateurs. François Fillon est lui le tenant d’une droite catholique traditionnelle à qui, étrangement, ses adversaires reprochent d’être… de droite. Emmanuel Macron, le «chouchou» du Luxembourg, est quant à lui une forme d’ovni, un pur produit marketing d’accord avec à peu près tout le monde qui vit dans «l’illusion du consensus» chère à la philosophe belge Chantal Mouffe.
Fait inédit, les deux grands partis de gouvernement pourraient être absents du second tour. Ce coup de tonnerre politique devrait conduire à une véritable réflexion sur l’état de la démocratie.
Nicolas Klein