Les valeurs de démocratie, de paix et de tolérance véhiculées par l’Union européenne doivent être défendues et perpétuées : tel est le message livré par les trois chefs de gouvernement du Benelux et le président français, réunis jeudi à Bourglinster. Ils se posent en «progressistes» par opposition aux xénophobes et démagogues nationalistes comme le Hongrois Orban ou l’Italien Salvini. Mais à peine ce bel engagement édicté, les quatre dirigeants se sont dépêchés de donner des gages à ceux-là même dont ils dénoncent la politique migratoire.
Sous prétexte de freiner la progression de l’extrême droite européenne, ils proposent d’élargir à l’Afrique et aux migrants économiques «l’accord de la honte» conclu en mars 2016 entre Bruxelles et Ankara pour endiguer l’arrivée des réfugiés de guerre fuyant une Syrie en pleine dévastation. Plus de deux millions de personnes s’étaient agglutinées dans des camps et villes turcs dans le but de gagner la pacifique et démocratique Europe, dont les valeurs avaient précisément inspiré la révolution syrienne de 2011.
Pour mettre un terme à l’arrivée des réfugiés, l’UE a proposé à la Turquie de les retenir sur son sol en échange de milliards d’euros. Ce deal relègue des êtres humains au rang de vulgaires marchandises et offre au président turc, Recep Tayyip Erdogan, d’exercer sur l’UE un chantage lui laissant libre cours dans l’édification d’un pouvoir liberticide et autoritaire.
On voit d’ici l’usage que pourront faire d’un tel échange quelques potentats africains pour renforcer leur fortune et leur dictature, tandis que les Européens détourneront hypocritement le regard tout en proclamant leur attachement aux droits humains.
Cependant, l’idée de Bettel, Macron, Michel et Rutte dépasse en cynisme l’accord avec la Turquie. Pour des raisons historiques et présentes. Sans remonter à l’esclavage, dont le dépeçage démographique continue à peser sur certains États, il y a eu la colonisation et sa continuation néocoloniale, un pillage en règle, par les nations européennes principalement, des richesses d’un continent dont la jeunesse n’a d’autre horizon que l’exode pour échapper à la misère.
De même, les puissances industrielles européennes portent en grande partie la faute du réchauffement climatique, dont l’Afrique paye le prix fort, et qui provoquera l’une des plus grandes migrations de l’histoire.
Venant de la France, qui exploite sans vergogne son «pré carré» depuis 150 ans, cette idée est coupable, tout comme elle l’est de la part d’un Grand-Duché qui blanchit dans ses banques et sociétés les biens mal acquis de dictateurs parfois assassins de leurs peuples.
Se laver les mains de ces responsabilités en échange d’espèces sonnantes, c’est faire peu de cas de l’humain, c’est faire preuve d’une inexcusable absence d’empathie. C’est contredire de manière flagrante ces valeurs que l’on entend défendre en les ravalant au rang de simples éléments de communication.
Fabien Grasser