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Derrière le masque

Des corbeaux sont perchés sur de hauts mâts. Dans leur gueule, des câbles électriques qu’ils semblent avoir arrachés à une caméra qui, comme des milliers d’autres caméras, transforme Londres en enfer de la vidéosurveillance.

Ces saboteurs en carton-pâte ont un auteur : Banksy. Un activiste qui depuis une vingtaine d’années dissémine ses œuvres aux quatre coins des villes, se protégeant grâce à son anonymat et un goût pour les déguisements. À la fois artiste et délinquant, donc, raillant les grands dictateurs de ce monde ou les petits compromis liberticides qui transforment peu à peu nos sociétés en cauchemar orwellien. Mais ce jeu du chat et de la souris est peut-être terminé. Des scientifiques britanniques affirment avoir démasqué Banksy. Utilisant une technique digne de la police scientifique, ils ont analysé les positions de ses œuvres pour déterminer la zone où il a la plus forte probabilité de vivre. Or l’adresse et le nom coïncident avec ceux déjà avancés par une enquête du Daily Mail en 2008.

Est-ce la fin de Banksy? Ses œuvres valant désormais des fortunes, l’artiste pourrait très bien se ranger des graffitis.

Reste que cet acharnement à révéler son identité n’est pas anodin. Déjà parce qu’il est disproportionné : le principal reproche fait à ses messages politiques, comiques ou poétiques, est la dégradation de biens publics, une accusation bien grave pour qualifier un coup de peinture sur un mur souvent à l’abandon. Ensuite parce qu’il révèle une obsession moderne, le rejet de l’anonymat, cette valeur périmée qu’atomisent les réseaux sociaux, avec le consentement de leurs usagers. Je n’ai rien à cacher, jurent-ils la bouche en cœur, jusqu’au jour où ils regretteront d’avoir gravé dans le marbre numérique leur vie privée.

L’anonymat de Banksy n’a pas qu’une valeur personnelle, elle est aussi symbolique. L’art est un allié précieux de la dissidence, et un artiste devrait avoir droit – tant qu’il ne viole pas des valeurs essentielles – au respect de son anonymat, tout comme un témoin ou un lanceur d’alerte. Mais peut-être que cette affaire n’est qu’un énième pied de nez orchestré par Banksy lui-même, qui a déjà maintes fois prouvé que le manipulé n’est pas toujours celui que l’on croit…

Romain Van Dyck (rvandyck@lequotidien.lu)

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