Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, le fameux TTIP, inspire la plus grande méfiance au monde viticole. Voici pourquoi.
Jeudi dernier avait lieu, à l’Institut viti-vinicole de Remich, une conférence portant sur les conséquences de l’accord de commerce et d’investissement que sont en train de négocier l’Union européenne et les États-Unis.
Depuis 2013, la Commission européenne négocie en secret avec les États-Unis un accord visant à ouvrir les marchés des deux côtés de l’Atlantique. Dans une plaquette explicative publiée par la Commission, la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, explique qu’«en ouvrant le marché des États-Unis aux entreprises de l’Union, et notamment aux plus petites, le TTIP contribuerait à réduire les coûts supportés par les entreprises européennes en luttant contre les formalités administratives inutiles. En outre, il mettrait en place de nouvelles règles permettant d’exporter, d’importer et d’investir outre-Atlantique dans des conditions plus simples et plus équitables.» Un tel accord créerait la plus grande zone de libre-échange jamais établie, ce marché représenterait presque la moitié du PIB mondial. Mais ce tableau idéal est loin de convaincre tout le monde…
Il faut protéger les appellations d’origine
Le monde du vin est un exemple très éclairant des questionnements et des craintes suscités par le concept même de cet accord. L’Assemblée des régions européennes viticoles (AREV) monte au créneau depuis l’an passé pour alerter les décideurs sur les spécificités de la viticulture. Son premier vice-président est Aly Leonardy, vigneron de Mertert membre de la coopérative Vinsmoselle. Lui aussi se méfie de ce qui se trame dans les bureaux de la Commission : « Il faut que nous insistions pour que les discussions tournent en notre faveur .»
Plutôt que la question des tarifs douaniers qui sont déjà plutôt bon marché, le sujet qui suscite les inquiétudes est celui du respect des normes en vigueur sur le continent européen. Elles sont le fruit d’une longue histoire et la crainte de voir ces traditions séculaires qui font aujourd’hui consensus balayées d’un revers de la main existe.
Ces normes, à l’image de la nouvelle appellation d’origine protégée (AOP) Moselle luxembourgeoise, fixent le cadre dans lequel le vin est produit dans une aire géographique donnée et protège son identité. Si tout le vignoble luxembourgeois tient dans une seule AOP, la France en dénombre 330 pour ses vins, cidres et eaux-de-vie.
Or ces indications d’origine européennes sont fortement mises à mal aux États-Unis par ce que l’on appelle les «semi-génériques». Chez nous, pour parler de couches-culottes, on évoque facilement des Pampers. Le réfrigérateur est un Frigidaire, un stylo-bille est un Bic, un chariot pour faire ses courses est un Caddie. Eh bien, aux États-Unis, ces raccourcis qui consistent à transformer un nom propre en nom commun s’appliquent également au vin.
Bien plus de chablis aux États-Unis qu’en France
La pomme de la discorde concerne 17 indications géographiques européennes qui sont considérées aux États-Unis comme étant tombées dans le domaine public. Ainsi, on y produit allègrement du Burgundy, Chablis, Champagne, Chianti, Claret, Haut-Sauterne, Hock, Madeira, Malaga, Marsala, Port, Retsina, Rhine, Sauterne, Jérez-Xérès-Sherry, Tokaj… et même du Moselle! Il faut dire que les rieslings allemands sont particulièrement appréciés aux États-Unis.
Si rien n’est fait pour protéger les appellations d’origine européennes et que les marchés s’ouvrent sans frein, on pourrait donc trouver sur les étagères de nos supermarchés des vins aux étiquettes similaires… mais qui n’auront rien à voir. « Aux États-Unis, on produit entre sept et huit fois plus de chablis qu’en Bourgogne, illustre Aly Leonardy. Il est indispensable que les États-Unis respectent les dénominations qui sont protégées en Europe .»
Si cette demande semble frapper du sceau du bon sens, le secret qui caractérise ces négociations est anxiogène. La chance des Européens vient du fait que le continent compte beaucoup de produits producteurs de vin et que sur ce sujet, tous tirent dans le même sens. Un état des lieux qui rend Aly Leonardy plutôt optimiste : « Je suis confiant car l’opposition qui se forme au sein de l’Union européenne est importante. D’ailleurs, nous connaissons très bien Herbert Dorfmann (NDLR : eurodéputé du PPE, successeur de la Luxembourgeoise Astrid Lulling à l’intergroupe Vin au Parlement européen) et il est avec nous .»
Un soutien qui ne sera pas de trop, si l’on ne veut pas boire d’ici quelques années un Moselle produit par une wine estate californienne…
Erwan Nonet