Yves Nosbusch, chef économiste de la banque BGL BNP Paribas, nous aide à mieux comprendre la situation en Chine et ses conséquences sur l’Europe. Alors que l’ensemble des Bourses européennes ont vécu un lundi noir, faisant apparaître le spectre de la crise de 2008, il se veut rassurant et tient à prendre également en considération les aspects positifs concernant les prix des matières premières.
Yves Nosbusch décrypte régulièrement l’économie sur son blog, «Décryptage de l’économie», il était donc normal d’aller à sa rencontre afin d’y voir un peu plus clair dans la panique qui affole les marchés mondiaux en raison du ralentissement de l’économie chinoise, moteur de l’économie mondiale. Avant d’aborder la question, Yves Nosbusch tient à prendre du recul : « Je pense qu’il vaut la peine de remonter un peu dans le temps et de remettre dans son contexte général ce qui ce passe aujourd’hui en Chine, afin de comprendre l’évolution du modèle chinois» , souligne l’économiste. Il poursuit : «La Chine, jusqu’à la grande crise financière de 2007/2008, avait une économie basée sur les exportations, ce qui faisait du secteur exportateur le déterminant principal de la croissance chinoise.
Après la crise de 2008 et l’effondrement du commerce mondial, la Chine, qui ne pouvait plus compter uniquement sur ses exportations, s’est lancée dans un programme d’investissement de très grande envergure, qui s’est accompagné, au cours des années, d’une croissance du crédit très importante. Ceci n’est évidemment pas un modèle viable sur le long terme, mais plutôt une transition, dont le gouvernement chinois est tout à fait conscient, qui a pour intention de réorienter le modèle de croissance basé sur l’investissement vers un modèle basé sur la consommation intérieure. »
En effet, avec l’évolution économique de la Chine, les ménages chinois deviennent, en principe, plus riches et donc plus enclins à consommer davantage, et peuvent ainsi représenter un facteur clé de la croissance chinoise. « Toute la question est de savoir à quelle vitesse la Chine va réussir à passer d’un modèle à l’autre. Et aujourd’hui, elle est dans une situation où la croissance basée sur la consommation n’est pas assez forte pour remplacer l’investissement, ce qui engendre une situation où il y a beaucoup de surcapacité s», explique Yves Nosbusch avant d’ajouter : « En fait, cela fait des mois que l’on peut voir cette situation, ça n’a pas été aussi violent que les marchés peuvent le laisser penser. Depuis des mois, la production industrielle a ralenti en Chine ainsi que la croissance.
Une autre question à se poser est de savoir à quel rythme la croissance ralentit et ce qu’elle sera dans l’avenir. » Pour résumer, explique l’économiste de la banque BGL BNP Paribas, le futur défi de la Chine est de passer d’un modèle économique à un autre en ralentissant la croissance basée sur l’investissement sans pour autant le faire avec excès.
Lorsque l’on aborde la problématique des «bulles» souvent mise en avant pour expliquer le problème chinois, Yves Nosbusch ne veut pas s’aventurer sur ce terrain : « Il est très difficile de s’accorder sur la définition d’une bulle, je préfère éviter d’utiliser le terme, car tout le monde n’entend pas la même chose par ce terme. »
Un krach boursier?
Lundi noir, vent de panique, krach asiatique : les expressions fusent depuis quelques jours pour qualifier la situation des marchés chinois et asiatique. Mais qu’en est-il du point de vue du chef économiste? « Encore une fois, c’est une question de définition, mais il est évident que la correction est très substantielle, même si l’on est toujours au-dessus du niveau de ce que l’on a connu en 2014. Il faut noter que ce qui est spécifique à la Chine, et qui a son importance, c’est que la politique du gouvernement a quand même une forte influence sur le marché. Il a d’ailleurs pris un certain nombre de mesures qui ont eu un impact important, chose que l’on n’a pas sur les marchés en Europe ou aux États-Unis. »
Dans ce contexte, la crise chinoise a contaminé l’économie européenne et mondiale, notamment par rapport au prix des matières premières. Là encore, Yves Nosbusch se veut rassurant en y voyant du positif : « C’est clairement un facteur important pour l’économie mondiale. En résumé, ce qui est en train de se passer, c’est qu’avec le ralentissement de la croissance en Chine, il y a un effondrement du prix de pratiquement toutes les matières premières et pas uniquement du pétrole, ce qui va créer des défis importants pour un certain nombre de pays parmi les pays émergents, qui dépendent fortement de leurs exportations de matières premières. Concernant les répercussions sur l’économie européenne, il ne faut pas surréagir. Je pense même que les conséquences seront limitées, étant donné que les exportations de la zone euro vers la Chine ne représentent que 6 à 7 % de l’ensemble des exportations de la zone. Mais pour des entreprises exportant fortement vers la Chine, oui, il y a un risque important. »
Jeremy Zabatta
Les conséquences pour le Luxembourg
Concernant le Luxembourg, qui est une place importante en termes d’échange de devises, notamment concernant le yuan (ou renminbi), Yves Nosbusch attire, là encore, l’attention sur la nécessité d’avoir une vue à long terme. « L’économie chinoise va jouer un rôle de plus en plus important au cours du temps. Si, à court terme, il peut y avoir des fluctuations, la tendance à long terme est clairement établie, donc cela a tout son sens pour le Luxembourg de continuer à créer un lien économique fort avec la Chine.
De plus, à long terme, il y a aussi des facteurs positifs dans cette dépréciation, parce que c’est quand même un changement de politique, un changement de la façon dont la Chine gère le taux de change, qui va davantage vers une détermination du taux de change par le marché, donc un taux de change plus libre et plus flexible, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. »
Mais cette crise asiatique peut également avoir une répercussion sur le quotidien des Luxembourgeois, comme l’explique Yves Nosbusch : « Il y a des aspects positifs, surtout pour le consommateur européen. Je pense que la baisse des prix des matières premières, très douloureuse pour les pays émergents exportateurs, l’est beaucoup moins pour les pays européens importateurs. La première conséquence d’une baisse du prix du pétrole et de celui des matières premières est l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages par le biais d’une baisse de la facture énergétique, tandis que les entreprises achetant des matières premières pour leur production verront la différence dans leurs marges bénéficiaires. »