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Finance responsable : attention au risque d’emballement


Rien n'empêche les entreprises menant quelques initiatives respectueuses de l'environnement de "poursuivre parallèlement des activités incontestablement non écologiques avec d'autres sources de financement", estiment les experts. (illustration AFP)

Un « dangereux placebo », voire une bulle en formation ? L’investissement responsable est désormais incontournable dans la gestion de portefeuilles mais son essor s’accompagne de doutes croissants.

La croissance fulgurante de la classe d’actifs dits « ESG », censés apporter un bénéfice environnemental, social ou au niveau de la gouvernance d’entreprise, soulève « des questions sur la possibilité qu’une bulle puisse se développer », a averti la banque des règlements internationaux dans son dernier rapport trimestriel.

Les signes annonciateurs d’emballement ne manquent pas : début 2020, l’investissement durable totalisait plus de 35 000 milliards de dollars, soit une hausse de 15% sur deux ans et plus d’un tiers de tous les actifs dans cinq grands marchés du monde, selon la Global Sustainable Investment Alliance. Et la proportion de nouveaux fonds ESG provenant de fonds existants convertis a continué à augmenter cette année, observe Mandarine Gestion.

Cet engouement découle des efforts pour limiter le réchauffement climatique et décarboner les portefeuilles d’investissements, d’autant que les institutions européennes orientent les flux de capitaux vers les activités responsables. « Il est plus facile de lever de l’argent dans l’ESG mais attention au phénomène de bulle : il y a beaucoup trop d’argent qui arrive d’un seul coup sur un secteur », s’alarme Nicolas Rochon, président et fondateur de RGREEN Invest, une société spécialisée dans l’investissement et le financement de projets liés à la transition énergétique. Avec, selon lui, « le risque de payer beaucoup trop cher des actifs et que tout s’effondre, comme ce qui s’est passé dans le secteur des énergies renouvelables dans les années 2008 ».

Analyser « l’intégrité des démarches »

« Les actifs liés à des changements économiques et sociaux fondamentaux ont tendance à subir des corrections de prix importantes après un boom d’investissement initial », relève aussi la banque des règlements internationaux.

Parallèlement, des scandales liés au « greenwashing » commencent à émerger dans le secteur. L’affaire DWS notamment a fait beaucoup de bruit cet été : cette filiale de Deutsche Bank, qui est l’un des plus gros gérants d’actifs européens, est soupçonnée d’avoir menti sur l’ampleur de ses investissements dans l’économie verte. Nul ne sait encore ce qui découlera des enquêtes des autorités fédérales américaines et du régulateur allemand, mais c’est un avertissement pour toute la branche ESG, peut-être trop idéalisée en dépit des incertitudes sur la fiabilité de ses données, faute de critères uniformisés.

Les émissions de dette verte explosent mais « en pratique, il n’est pas totalement certain qu’elles créent plus d’impact positif sur l’environnement qu’autrement », écrivait dans un essai publié fin août Fariq Tancy, ancien responsable des investissements ESG chez BlackRock, le premier gestionnaire d’actifs au monde. Il y qualifiait l’investissement durable de « dangereux placebo qui nuit à l’intérêt public », un peu « comme vendre de l’herbe de blé à un patient du cancer ». Car rien n’empêche les entreprises menant quelques initiatives respectueuses de l’environnement de « poursuivre parallèlement des activités incontestablement non écologiques avec d’autres sources de financement ».

Prix de l’énergie : un mal pour un bien ?

Les investisseurs doivent analyser eux-mêmes « l’intégrité des démarches » des entreprises, « les risques de bulles ESG en seraient réduits », observe Augustin Vincent, responsable de la recherche ESG chez Mandarine Gestion.

La tâche est cependant ardue car chaque société de gestion a sa propre politique. « Il y a un grand écart entre celles qui font le minimum syndical et celles qui ont des politiques beaucoup plus draconiennes », rappelle Nicolas Rochon. Il préconise « des labels au niveau européen ou mondial pour des bonnes pratiques » et « faire ressortir les mauvais élèves ».

Les experts en placements de produits ESG jugent malgré tout le mouvement inexorable vu la pression à la fois réglementaire et sociétale en faveur d’investissements plus responsables. « Si une bulle est possible à long terme, il s’agit aussi d’une tendance d’investissement qui devrait se prolonger », estime ainsi Jean-Jacques Ohana, analyste indépendant. Et « la flambée des prix de l’énergie va sans doute rentabiliser et donc alimenter durablement les investissements dans les technologies et les infrastructures vertes. »

LQ/AFP

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