A rebours du « travailler plus » revenu dans le débat public face à la crise du Covid-19, de rares entreprises font le pari de la semaine de quatre jours, convaincues d’un gain pour le bien-être des salariés, mais aussi pour la productivité.
« Il faut être fou ! », plaisante Laurent de la Clergerie, dirigeant du groupe informatique LDLC qui compte un millier de salariés et se lance ce mois-ci. « C’est totalement contre-intuitif », ajoute le chef d’entreprise, pourtant « persuadé que ça marche » même si ça ne s’applique pas « nécessairement à toutes les entreprises ».
Il a chiffré à environ un million d’euros le coût de ce passage à 32 heures sur 4 jours, appliqué dans un premier temps aux 800 salariés de la maison mère, montant que la société, qui n’a pas pâti du Covid, « peut totalement absorber ». Et « je fais le pari qu’en réalité je vais y gagner et que tout le monde sera gagnant à la fin ». Se sachant observé, il pense qu’il « fera école » en cas de succès.
IT Partner, PME d’une cinquantaine de salariés, a aussi sauté le pas au début du mois sans impact sur les salaires, son président Abdénour Ainseba espérant « améliorer le bien-être des collaborateurs » pour « une plus grande performance d’équipe ». Il estime que « le confinement a été révélateur de beaucoup de choses » et se dit convaincu que les patrons de PME vont devoir innover.
Les chefs d’entreprise avec lesquels il discute trouvent cela « osé, courageux, mais pas possible chez eux », d’après le dirigeant qui se défend de tout prosélytisme et ne pense pas que ce soit une idée de gauche ou de droite, même si les 32 heures sont portées de longue date à gauche.
La culture du présentéisme difficile à bouger
Chez Welcome to the Jungle, plateforme dédiée à l’univers du travail, l’initiative – interrompue momentanément face au Covid – a aussi fait des curieux, mais souvent en y voyant « un super outil de com ». S’offrir une telle publicité est « une très mauvaise raison », selon Camille Fauran, directrice générale. L’entreprise d’environ 130 salariés en France s’est lancée en octobre 2019, après un test n’ayant pas montré de « baisse de productivité » d’ampleur, dit-elle, reconnaissant un choix « un peu radical ».
D’autres tel Love Radius, PME spécialisée dans les porte-bébés, ont une formule hybride : quatre mois par an (mai-août), les 16 salariés ne travaillent pas le vendredi. Yprema, entreprise industrielle du BTP d’une centaine de salariés, applique ce mode d’organisation depuis 1999. Elle a vu ses effectifs croître et y a gagné en productivité, explique la secrétaire générale Susana Mendes. Preuve de la réussite, Yprema n’exclut pas « de passer dans les années futures à la semaine de 30 heures ».
Pour Isabelle Rey-Millet, professeure de management à l’Essec, ce type d’organisation reste « marginal » en France parce que c’est « contre-culturel ». « On est dans une culture du présentéisme » et, « pour le coup, le Covid nous fait un bien fou, parce que ça bouscule ce genre de choses », notamment avec le télétravail qui « permet de lâcher prise sur le contrôle que les managers veulent avoir sur leurs collaborateurs ». Elle estime que certaines entreprises pourraient tester « des choses un petit peu plus intelligentes ».
Tout en reconnaissant qu’ils sont « très peu à défendre cette idée » dans un pays où les 35 heures restent un débat, Rachel Silvera, maîtresse de conférence en économie à Nanterre, est convaincue que la réduction collective du temps de travail « est la mesure la plus porteuse de l’égalité femme-homme et de solutions » pour l’emploi. Avec le Covid, « ce thème a été remis en avant sans qu’il y ait grand écho » alors que c’est l’occasion de reposer ces questions : « Est-ce que le présentiel doit être la seule référence, est-ce que nos heures de travail sont le bon indicateur de notre performance ? ». Mais, reconnaît-elle, « c’est très difficile d’aller contre l’avis général ».
LQ/AFP