L’anglais, souvent vendu comme une « panacée linguistique », est devenu hégémonique au sein des institutions de l’Union européenne, une domination que le Brexit ne devrait pas renverser et qui instaure une « inégalité fondamentale » en Europe, dénonce un expert britannique, Robert Phillipson.
« La langue hégémonique qui était au début le français est maintenant l’anglais », écrit Robert Phillipson dans La Domination de l’anglais : un défi pour l’Europe (Editions Libre et Solidaire).
« L’anglais est une sorte de coucou linguistique : il prend le dessus là où d’autres couvées linguistiques nichaient et il force les locuteurs non natifs de l’anglais à adopter ses coutumes et sa langue », analyse le Britannique, spécialiste des droits linguistiques et directeur de recherche au département d’anglais de l’École des hautes études commerciales de Copenhague.
En 1973, quand le Royaume-Uni est entré dans l’UE, 60% des documents de la Commission européenne étaient rédigés en français et 40% en allemand. Aujourd’hui, ils sont en anglais à 82%, et seulement à 3% en français, qui reste cependant la deuxième langue source, selon des chiffres officiels.
Ce « quasi-monopole » a « entraîné une obligation de fonctionner en anglais, qui est acceptée et internalisée », souligne Robert Phillipson dans une entrevue à l’AFP, peu avant la journée internationale de la Francophonie mercredi 20 mars.
« Beaucoup de fonctionnaires utilisent plutôt l’anglais que leur langue », souligne-t-il. « L’anglais est promu comme panacée linguistique alors que seulement 62 millions de personnes au sein de l’UE ont l’anglais comme langue maternelle (sur un total de 512 millions en 2015), et moins de la moitié des autres peuvent l’utiliser comme langue étrangère », rappelle l’expert.
«Parler anglais pour être pris au sérieux»
« On présume que vous devez parler anglais pour être pris au sérieux », ce que les fonctionnaires acceptent largement, parfois à leur risque et péril.
Il rappelle ainsi le cas d’une ministre danoise, qui présidait une réunion à Bruxelles, qui a cru bon de s’excuser en anglais de ne pas avoir une maîtrise parfaite des dossiers car venant d’être installée. Croyant bien faire, elle s’est alors dite « at the beginning of my period », qui, en anglais, se traduit plus comme « au début de mes règles ».
Cet « impérialisme linguistique », dénonce Robert Phillipson, peut mener à un « abêtissement technocratique vers un euro-anglais simplifié, une langue parlée avec imprécision, provoquant la multiplication des difficultés ».
«C’est notre pensée qui s’anglicise», une « McDonaldisation » qui lamine la diversité
L’UE compte 1 531 traducteurs. Deux millions de pages sont traduites par an et 10 000 réunions bénéficient d’une interprétation chaque année. Pourtant, selon une étude externe des services d’interprétation de l’UE, datant de 2001, 25% des sondés se sont plaints qu’il leur a été impossible de parler leur propre langue et 28% qu’il n’y avait pas interprétation dans leur idiome.
Or la Charte des droits fondamentaux de l’UE de l’an 2000 engage l’Union à respecter la diversité linguistique (article 22) et son article 21 interdit toute discrimination basée sur la langue. Les 24 langues officielles ont, en théorie, les mêmes droits.
Pourtant, il y a « une inégalité fondamentale entre, d’un côté les anglophones, et les non-anglophones ». « Or une langue n’est pas seulement un instrument. Petit à petit, subrepticement, c’est notre pensée qui s’anglicise », une « McDonaldisation » qui lamine la diversité, juge Robert Phillipson.
Un «déficit démocratique notoire»
Le Britannique y voit une raison essentielle du « déficit démocratique notoire de l’UE », de l’abstention grandissante aux élections européennes et même de la poussée des populismes en Europe.
L’hégémonie de l’anglais est également notable au sein de l’ONU, souligne une étude réalisée en octobre 2018 par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, basée à Paris). Au siège à New York, près de 85% des documents sont rédigés en anglais, et 2% seulement en français, deuxième langue de production. Cette proportion dépasse à peine les 10% aux bureaux de l’ONU à Genève, ville pourtant francophone (et 84% en anglais).
Le Brexit, s’il a lieu, fera partir la seule nation ayant choisi l’anglais pour langue officielle en Europe. Pourtant, « il est très peu probable que le Brexit change quoi que ce soit », estime Robert Phillipson, « car les employés des institutions européennes ont pris l’habitude de travailler principalement en anglais ».
AFP
Merci !! Excellent mais que doit-on faire pour rétablir un équilibre satisfaisant?
Il s’agit du Dr. Robert PHILLIPSON!
Dans l’article original de Loïc Vennin (AFP), le nom est erroné…
– Références:
– https://communiques.categorynet.com/la-domination-de-l-anglais-un-defi-pour-l-europe-de-robert-phillipson
– http://www.linguistic-rights.org/robert-phillipson/#defiFR
Merci infiniment pour votre réaction rapide!