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« Tous les chemins mènent à Schengen » : marche ou crève !


L'artiste luxembourgeoise Justine Blau propose une sélection de souvenirs touristiques «made in Schengen», tout en humour et ironie. (photo DR / Justine Blau)

Centrée sur la figure du marcheur obligé et des promeneurs de l’Histoire (juif errant, tzigane, migrant), «Tous les chemins mènent à Schengen» questionne la notion de sédentarité et sonde le regard sur l’étranger. Présentée au FRAC Lorraine, à Metz, cette exposition, articulée autour des œuvres de dix artistes – dont trois du Luxembourg – et d’un large choix d’archives historiques, part de Schengen et se rend jusqu’au cœur des terres désertiques du Sahara.

La marche porte en elle un dualisme rigoureux  : en Occident, elle est vue comme une solution pour une vie plus saine, et avec ou sans bâtons, les pèlerins dominicaux sont de plus en plus nombreux à arpenter les chemins de traverse. Ailleurs sur la planète, comme l’Histoire s’en fait régulièrement (malheureusement) témoin, certaines populations la voient comme une nécessité, une condition cruciale à sa propre survie. Celle qui se heurte aux absurdités administratives et au racisme ordinaire.

Remède autant que mal, plaisir sportif ou promesse d’un eldorado lointain, le mouvement n’a pas la même symbolique pour tous. En s’emparant de la figure du marcheur obligé et des promeneurs de l’Histoire (juif errant, tzigane, migrant), le FRAC Lorraine a choisi de l’aborder à travers l’opposition Nord-Sud avec l’exposition «Tous les chemins mènent à Schengen» qui, comme son nom l’indique, démarre au Luxembourg, dans ce petite village où, apprend-on, résident trois familles de demandeurs d’asile et une de réfugiés.

Parole aux migrants

La balade débute donc dans le vignoble mosellan, là où, il y a bientôt trente ans (le 14 juin 1985), l’accord de libre- circulation de l’Union européenne a été signé. Mais qui dit ouverture et liberté à l’intérieur, dit aussi plus grand contrôle à l’extérieur. Conséquence  : un repli sécuritaire et identitaire, pointant volontiers du doigt l’accueil des étrangers comme une plaie, avec ces non-Européens cantonnés aux frontières de la forteresse que cette convention a contribué à créer.

Si le sujet est sérieux, la mise en bouche offerte par deux artistes du Grand-Duché se veut, elle, légère  : d’un côté, Claudia Passeri, l’humour en bandoulière, a réalisé son pèlerinage, parcourant à pied les 29,7 kilomètres séparant Luxembourg de Schengen. De l’autre, Justine Blau propose une sorte d’office de tourisme détourné : son «Schengenland» dévoile une sélection de souvenirs touristiques (tongs, assiettes, cartes postales). Qui n’a pas sa boule à neige «Robert Goebbels»?

L'exposition met en parallèle les mouvements historiques de populations et l'engouement pour la marche en Occident. Elle offre une réflexion sur l'accueil des étrangers à travers la situation de ces voyageurs obligés.

L’exposition met en parallèle les mouvements historiques de populations et l’engouement pour la marche en Occident. Elle offre une réflexion sur l’accueil des étrangers à travers la situation de ces voyageurs obligés.

Dans une vidéo un brin kitsch, on apprend également que Schengen est un véritable paradis pour les oiseaux migrateurs. Le parallèle fait tout juste sourire. Car ici, le FRAC allie choix artistiques et archives historiques, histoire d’être au plus près du sujet et de parfois combler, par la voie pédagogique, la «légèreté» d’une œuvre abstraite. Celle de Marco Godinho, troisième Luxembourgeois de l’aventure, combine les deux : sa jolie fresque faite de tampons administratifs («Forever Immigrant») – sésame à tout passage de frontière, vecteur de liberté et d’évasion  – a été réalisée avec deux «migrants», du Burkina Faso et du Kosovo.

Les vidéos de Bouchra Khalili, elles, donnent la parole aux migrants. Sans visage, ils dessinent sur une carte d’Europe leur incroyable périple, souvent pour le travail, depuis la Somalie, l’Afghanistan et le Maroc. Ou comment leurs vies se heurtent à l’absurdité administrative, et comment ils parviennent encore à la contourner. Seul peuple nomade présent sur l’ensemble du territoire européen, les Tziganes restent encore et toujours persécutés, comme si leur mode de vie était une menace permanente pour les bienfaits de la sédentarité. Les cartographies théoriques de Mathieu Pernot rappellent un triste épisode, parmi tant d’autres, de leur passé de bouc émissaire : leur enfermement dans des camps de concentration, situés en France, durant la Seconde Guerre mondiale.

Porteuses de valises et Touaregs du Sahara

En outre, grâce aux archives départementales de la Moselle, le public découvre le régime auquel sont soumis les Roms, étrangers à l’intérieur de leur propre pays, depuis la fin du XIX e siècle (carnets anthropométriques et certificats de circulation à la clé). Appartenant à une autre population stigmatisée, le juif errant (cher à Georges Moustaki) semble condamné à la repentance éternelle. Des planches issues du musée de l’Image d’Épinal témoignent d’abord de sa représentation populaire. Un nez crochu et des guenilles l’accompagnent ainsi dans les derniers dessins datant de 1895. D’abord figure positive de l’ignorance, elle devient celle de l’israélite, dans une France catholique au discours antisémite.

Beat Lippert y répond par une installation de 4 500 pierres alignées, à l’effet cinétique troublant. Elles renvoient à la coutume nomade juive consistant à recouvrir de pierres les sépultures, mais aussi au code du randonneur, laissant une trace de son passage avec ces traditionnelles pyramides de cailloux (cairn). Enfin, cette marche en avant des consciences fait un détour par l’Algérie, où l’on trouve des villages au nom de Metz, Bitche, Marsal… témoins de l’exil volontaire des Lorrains à la suite de l’annexion allemande (1871-1919). Marta Caradec se joue de ce lien entre Occident et Orient avec des cartes (encore!) de la région d’Akbou, datant de 1958, sur lesquelles elle mêle dessins d’armoiries de familles messines, symboles médiévaux et motifs traditionnels algériens de céramiques, peintures…

De son côté, la vidéaste Zineb Sedira, en hommage aux «porteuses de valises» ou « pieds rouges» – Françaises militantes, héroïnes de l’ombre, qui ont décidées de soutenir l’indépendance – dresse un portrait de Safia Kouaci, «gardienne d’images» (celles de son mari, Mohamed Kouaci, photographe officiel en Algérie indépendante). Et c’est au Sahara, en compagnie des Touaregs, que l’expédition s’achève  : une salle complète est dédiée aux vidéos d’Ursula Biemann. Elles documentent un système de circulation des populations et des ressources très rentables, où la limite entre légalité et clandestinité est poreuse.

Grégory Cimatti

>> FRAC Lorraine, 1 Bis Rue des Trinitaires, Metz. Jusqu’au 4 octobre.

>> Cette exposition se prolonge par de nombreuses marches organisées entre Metz et Schengen (le programme ici)

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