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[Théâtre] Une fracture au cœur


(Photo : Patricia Peribañes)

Il est très riche, elle est quasiment pauvre. Lui ne jure que par la réussite individuelle, elle est tournée vers le social et l’entraide. Et pourtant, ils s’aiment… C’est Skylight, de l’emblématique David Hare, à découvrir au TOL.

Jusqu’où est-on prêt à mettre de côté ses convictions par passion? Voilà sur quoi se penche la pièce Skylight, histoire d’amour sur fond de fracture sociale, dans une pure veine anglaise.

De mémoire, Véronique Fauconnet, directrice du TOL, se souvient des rares pièces de David Hare proposées au Luxembourg. Deux, en réalité, et la même année, en 1995 : The Absence of War et The Blue Room. Étonnant, car le metteur en scène britannique n’est pas, pour ainsi dire, un inconnu. «C’est un auteur très réputé en Angleterre et dans les pays anglo-saxons», soutient-elle. Skylight a même été jouée à Broadway, et comme scénariste, on lui doit deux œuvres majeures au cinéma, certes tirées d’ouvrages déjà existants : The Hours et The Reader. Bon, ça pose quand même son homme…

Au point qu’avec cette adaptation le TOL s’est heurté à de nombreuses contraintes : celle, notamment, d’obtenir les droits  de cette œuvre, datant de 1995 – au final pas une sinécure quand on sait qu’il a fallu traduire deux fois le texte… C’est que «Sir David Hare donne son avis sur tout», et ce, par l’entremise de ses agents français et anglais, rendant même difficile la mise au point de l’affiche et des flyers. «C’est la première fois que ça m’arrive!», lâche Véronique Fauconnet.

Une méticulosité qui, heureusement, se justifie avec ce «travail d’orfèvre», dixit le metteur en scène Jérôme Varanfrain, à travers une recette bien maîtrisée outre-Manche, Ken Loach en tête, qui marie amour et considérations sociales. «Dans la philosophie d’écriture, on trouve un côté travailliste», confirme la directrice du TOL qui, pour le coup, se retrouve aussi sur scène, incarnant le personnage de Kyra. Quinze ans auparavant, elle est tombée amoureuse de Tom (interprété par Denis Jousselin), homme marié à Alice, avec qui, aussi, elle entretient d’excellentes relations amicales.

«Ils s’aiment, mais ça ne suffit pas!»

Quand le pot aux roses est découvert, elle disparaît, laissant au couple le soin de recoller les morceaux… Elle reprend alors les études et enseigne aux jeunes en difficultés dans un lycée en banlieue. Mais voilà qu’après «3-4 ans de séparation», Tom revient vers elle, portant le poids du deuil de sa femme et une passion toujours intacte pour son ancienne maîtresse. «Tout est encore à vif. Ils n’ont rien reconstruit d’un point de vue sentimental, ni l’un ni l’autre», explique Jérôme Varanfrain. Un face-à-face à voir comme l’affrontement de deux êtres qui boxent avec leurs convictions. Un amour sur fond de fracture sociale, en somme.

Comme si les points de vue se confrontaient encore et toujours en coulisses, Skylight, dans son essence même, divise. Avec ce classique triangle amoureux de départ, Denis Jousselin y voit une sorte de «théâtre de boulevard, mais très bien écrit, dans une forme d’excellence». D’ailleurs, s’il n’y avait pas cette qualité stylistique, le comédien reconnait qu’il aurait dit non. De son côté, Véronique Fauconnet parle de tragédie : «Ce sont deux passés qui n’arrivent pas à se retrouver. Ils s’aiment, mais ça ne suffit pas!»

Entre les deux, le metteur en scène parle lui d’un fil tendu entre humour et émotion, nécessitant un travail «complexe, ardu». «C’est du théâtre de texte! Bref, ça parle beaucoup. Il faut sentir ce qu’il y a en dessous de tous ces mots, saisir et affiner cette face immergée de l’iceberg.» Comprendre, faire parler les émotions brutes, les incarner comme le prônent l’Actors Studio de Lee Strasberg et des auteurs tels Tennessee Williams et Elia Kazan (Un tramway nommé Désir). Cette pièce a un véritable côté «cathartique : chacun a connu des moments de rupture», poursuit-il.
Le choix de l’humain ou celui de la situation, de l’argent? Voilà les «deux visions de la société qui s’opposent» dans Skylight. D’un côté, un «macho un peu gros con, grossier mais touchant», selon Denis Jousselin, tourné vers la réussite individuelle et l’ambition. De l’autre, une femme, au seuil de la pauvreté, qui bosse en ZEP – «un boulot d’engagement» – pour qui les mots « social» et «entraide» ne sont pas vains. «La question posée par la pièce est claire : jusqu’où peut-on aller dans ses concessions de vie, sans se perdre soi-même?», résume Véronique Fauconnet.

«Il ne manque que les téléphones portables!»

Un dualisme, en tout cas, très contemporain, et qui sert une pièce aux allures «actuelles». Toujours la comédienne : «Parfois, quand une pièce a une vingtaine d’années, il y a parfois… (elle hésite) de profonds décalages. Là, ce qui manque peut-être, c’est les téléphones portables!» Une analyse que partage Brice Montagne, qui joue Edward, fils de Tom, personnage discret, mais sûrement essentiel car «il n’a pas encore trouvé sa voie : il vient d’un milieu bourgeois mais vend des saucisses dans la rue à la sortie d’un stade de foot». Skylight, c’est «la symbolique de nos sociétés modernes ultrapolarisées, où quand à un dîner de Noël, une partie de la table ne peut parler à l’autre sans s’engueuler. Il y a des manières de voir le monde tellement différentes qu’on ne peut plus écouter l’autre.»

Mais ici, malgré le fossé qui sépare les deux protagonistes, point de manichéisme : «À la fin de la pièce, on a de l’empathie pour l’un et l’autre, quelles que soient nos convictions d’ailleurs», dit le comédien. Car c’est bien une humanité «qui transpire» des personnages, à la fois lucides et menteurs, compréhensifs et querelleurs. Oui, peut-être bien que la nouvelle génération a la solution.

Grégory Cimatti

TOL – Luxembourg.
Première, jeudi à 20 h 30.
Jusqu’au 1er décembre.

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