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Presse satirique : « On lui doit beaucoup ! »

Publié d’abord dans le journal Libération, puis dans la revue Fluide Glacial, « Revue de presse », cette petite histoire des journaux satiriques et non conformistes de Romain Dutreix et Toma Bletner, est désormais disponible en album au format strip. Aussi instructif que rigolo.

« Revue de presse » retrace la petite histoire des journaux satiriques et non-conformistes principalement français. On imagine que la tuerie de Charlie Hebdo a beaucoup compté dans la décision de faire ce travail.

Romain Dutreix : Au départ, c’est surtout un projet de Toma Bletner. C’est lui qui m’a proposé le sujet et je ne voudrais pas trop répondre à sa place, mais je crois pouvoir dire que c’est un projet qu’il avait à cœur de faire depuis un certain temps, puisqu’il vient d’une famille très impliquée dans la presse et qu’il est vraiment concerné par ça. Mais c’est vrai qu’après l’affaire Charlie, il s’est dit tellement de choses que c’était certainement utile de faire un retour en arrière pour remettre un peu les pendules à l’heure. Et rappeler le rôle primordial de la presse satirique.

Et vous, c’est ce qui vous a intéressé dans le projet ?

Les aspects hommage et historique m’ont intéressé à la base. Je tenais aussi à cette idée de remettre les pendules à l’heure et de faire prendre conscience à ceux qui l’auraient oublié que la presse satirique a accompagné tous les progrès politique et sociaux depuis plus de trois siècles.

"Revue de presse" se présente sous la forme du strip : trois ou quatre cases pour raconter une histoire drôle. (illustrations Romain Dutreix et Toma Bletner)

« Revue de presse » se présente sous la forme du strip : trois ou quatre cases pour raconter une histoire drôle. (illustrations Romain Dutreix et Toma Bletner)

Oui, il y a Charlie, mais aussi une longue histoire avant ça. Vous êtes remontés jusqu’au XVIIe siècle. C’est un sacré travail de recherche tout ça.

Oui. C’était un sacré boulot, mais je dois dire que le plus gros, à ce niveau-là, c’est Toma qui l’a fait. Après tout, c’est lui le scénariste ! C’est un très gros travail de recherche, d’ingurgitation d’infos qu’il faut ensuite digérer et condenser pour en ressortir un petit strip.

Strip qui, en plus de tout résumer en trois ou quatre cases, doit être drôle.

C’est clair, je n’aurais pas aimé être à sa place. Après, le strip, c’est une contrainte positive. Au départ, c’était nécessaire pour la publication dans Libé, mais en général, les contraintes de format finissent par être enrichissantes. Ça oblige à trouver de nouvelles façons de raconter. Dans ce cas, cela se prête vraiment bien au sujet, puisque cela permet de faire quelque chose de plus ludique que si on avait présenté ce travail en planches, comme un grand récit. Le résultat aurait été un peu encyclopédique et indigeste. Nous, on fait plus un survol rapide de l’histoire de la presse satirique en essayant d’ajouter une chute rigolote à chaque strip.

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Cette presse satirique et anticonformiste, est-ce, selon vous, une spécificité française ?

On s’est concentrés, pour ce livre, sur la presse française parce que ça nous permettait de rester dans un sujet cohérent, mais oui, il y a aussi quelque chose de spécifiquement français dans la richesse et la quantité de la production. Quand on regarde en arrière les trois derniers siècles, on se rend compte que chaque grand événement historique, chaque avancée de la société est accompagné par une explosion de la presse satirique. Après, à chaque fois, il y a eu un retour de bâton : censure, prison, etc. Mais bon, c’est une presse qui, comme je le disais précédemment, a accompagné toutes les évolutions de la société. C’est elle qui a désacralisé le roi, les puissants, etc. C’est donc une presse à laquelle on doit beaucoup ! Notre liberté de presse, celle de parole… nos ancêtres les ont souvent payées au prix fort. Enfin, peut-être pas autant que ceux de Charlie.

On voit aussi dans cet album que beaucoup ont tenté le coup de la presse satirique, mais que finalement rares sont ceux qui semblent avoir trouvé la bonne formule. En gros, il reste Charlie – qui est mort et ressuscité dans les années 80 – et le Canard enchaîné, qui a fêté son centenaire, c’est tout. Est-ce encore plus dur pour les journaux satiriques que pour le reste de la presse ?

Oui. C’est difficile. Entre censure et problèmes financiers, avec toutes ces plaintes, les interdictions de publier, de distribuer, ces amendes à payer…

Et aujourd’hui, où en est-on ? Cavanna, Choron, Siné, Schlingo, Cabu, Wolinski… force est de constater qu’ils ne sont plus là. La relève est-elle assurée selon vous ?

Disons que l’époque n’est pas fabuleuse, même s’il reste quelques personnes qui se battent pour que cette presse nécessaire demeure. Mais c’est vrai qu’il n’y en a peut-être plus autant qu’avant. Les grands noms que vous avez cités, et leur impertinence, ont été remplacés par des humoristes audiovisuels qui n’ont peut-être pas un potentiel subversif aussi important.

L’album se termine par la situation actuelle et, par exemple, Le Gorafi. C’est ça le futur de l’impertinence ?

C’est déjà là qu’elle se trouve. Mais j’aimerais bien que la presse papier demeure. Internet est très séduisant, mais aussi inquiétant : on ne sait pas comment cela va évoluer, est-ce que des traces de tout ça vont rester ? D’ailleurs, belle preuve de résistance à internet, le Canard enchaîné n’a toujours pas de site.

Entretien avec Pablo Chimienti

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