Artiste associé de la Kulturfabrik jusqu’en 2024, on connaissait Sacha Hanlet comme batteur de Mutiny on the Bounty. Désormais, il est aux commandes de Them Lights, un projet solo musical et visuel, résolument indépendant.
Quand il présentait son projet solo Them Lights – avec même une vidéo qui a offert quelques brefs aperçus musicaux – mardi, à la Kulturfabrik, Sacha Hanlet était facilement reconnaissable, dans son t-shirt représentant l’affiche du film Purple Rain, Prince occupant sa fameuse pose sur une imposante moto, regard ténébreux. Sacha Hanlet revendique Michael Jackson, qu’il appelle, comme tout fan, par son simple prénom, mais le rival du «King of Pop» a aussi un rôle évident à jouer dans les influences, vastes, du musicien. Batteur pendant 17 ans de Mutiny on the Bounty, groupe phare du «math rock» luxembourgeois – encore qu’il est difficile de réduire la formation à un seul genre –, Sacha Hanlet a démarré Them Lights il y a trois ans, réalisant enfin un rêve qu’il avait depuis longtemps : celui de porter seul un projet ambitieux, à la fois musical et visuel, et qui ne se fixe aucune limite. La liberté artistique dans son expression la plus totale, en somme. Une liberté qu’il compte acquérir à l’issue de cette résidence de trois ans dans le cadre du programme «Neistart Lëtzebuerg», dans un environnement qu’il connaît bien, puisque c’est à la KuFa que le musicien autodidacte a fait ses toutes premières répétitions, au début des années 2000.
Votre groupe, Mutiny on the Bounty, a été formé il y a 17 ans. Aujourd’hui le batteur entre en résidence à la Kulturfabrik pour son projet solo, Them Lights. Quelle a été la genèse de ce projet ?
J’ai commencé à faire de la musique tard, à 19 ans, et complètement en autodicacte, mais j’étais déjà dans un groupe, Mutiny on the Bounty, avec lequel on est parti très vite en tournée. Pour moi, la musique, c’était faire des concerts, rencontrer des gens. On est une formation conventionnelle qui fait de la musique non conventionnelle. Au tout premier concert de Them Lights, il y avait beaucoup de fans de Mutiny dans la salle, et ça été un choc pour eux. Par contre, ce projet était toujours dans ma tête, je n’avais juste pas les outils pour le faire. Il m’a fallu un peu de temps pour apprendre tout ça. J’adore Michael (Jackson), donc j’ai enregistré des voix, fait plein d’harmonies… Charles Stolz, qui est ingénieur du son et qui a un studio, m’a montré pas mal de choses, jusqu’à ce que j’aie assez de compétences en production pour écrire ce que je voulais. C’était ça le naissance de Them Lights, un projet que je fais depuis trois ans, mais qui a réellement pris vie il y a un an.
Y avait-il une envie de votre part de vous émanciper du groupe ?
Pas du tout ! J’ai l’idée de faire ce genre de musique depuis que je suis tout petit. Quand j’ai vu Thriller la première fois, ça m’a mis une claque ! La vidéo, bien sûr, est fascinante, surtout quand tu la découvres étant môme, mais musicalement parlant, encore aujourd’hui, c’est incroyable. Je ne connaissais peut-être pas les mots « harmonie » ou « arrangement », mais ce sont des choses qui m’ont profondément touché. Ça n’a jamais été une question d’émancipation, mais plutôt une possibilité, enfin, de pouvoir réaliser cette idée.
« Groove », c’est le mot qui résume tout (le projet). Quand je l’ai réalisé, c’était comme une épiphanie
Vos inspirations sont diverses : Michael Jackson, Prince, le hip-hop, le R’nB, le rock… Comment les incorporez-vous au projet ?
J’ai découvert le fil rouge du projet il y a environ deux ans. Mes goûts viennent d’un peu partout : quand j’étais plus jeune, j’écoutais Roxette, des trucs pop; plus tard, j’ai eu une grosse période hip-hop; ensuite, mon truc, c’était Deftones et le « stoner rock »… Avec tout ce que j’ai écouté, il était difficile de mettre le doigt sur quelque chose. Et puis ça m’est apparu : c’est le « groove ». Tout ce que j’ai écouté a en commun un vrai « groove », indépendamment des genres musicaux. Them Lights n’a rien à voir avec Michael ou Justin Timberlake, mais il y a aussi beaucoup d’influences dans le rock… « Groove », c’est le mot qui résume tout. Quand je l’ai réalisé, c’était comme une épiphanie.
L’atmosphère musicale et visuelle renvoie beaucoup aux années 1980, très stylisée, lumineuse. D’où vous vient cette fascination pour la lumière artificielle, en particulier pour les néons ?
Dans les années 1980, cet aspect visuel, les néons, on voyait ça partout. Encore un truc qui m’a profondément marqué. Et puis les lumières, de manière générale, c’est quelque chose que j’adore. Pendant dix ans, j’ai fait les lumières à la Rockhal. C’est super fascinant, ça peut tout changer : ça peut améliorer un concert comme ça peut l’endommager, ça peut être utilisé pour repousser les gens ou, au contraire, les inviter… C’est omniprésent, et ça peut cacher quelque chose de très puissant. Le néon, lui, a aussi un côté pratique dans son utilisation, sur scène notamment.
Et puisqu’elle est artificielle, je peux contrôler moi-même la lumière depuis mon pad. Les lumières que j’ai utilisées pour mon premier concert, c’est un concept qu’on a complètement construit de A à Z. On est allé acheter les bandeaux LED, les tubes en aluminium, et chez moi, on a tout fabriqué sur mesure, puis je programme tout sur mon set, de façon à ce que, quand je balance un « snare » ou un « kick », la lumière suive. Je veux pouvoir avoir un contrôle total dessus (il rit). C’est en tout cas ce que j’essaie de faire pour pouvoir improviser. Il faut que les lumières suivent.
C’est aussi ce qu’implique d’être un artiste indépendant au Luxembourg : être capable de toucher à tout, surtout quand on veut porter à terme un projet ambitieux…
Absolument. Edsun dit souvent : « You are more than one thing. » C’est vrai ! J’y crois beaucoup. Je crois aussi qu’on n’a pas le choix : l’industrie est petite, moi, à côté, je fais six ou sept boulots qui me font vivre, mais qui me permettent aussi de travailler dans ma passion. Avec tout ce que j’ai appris en plus pour Them Lights, je peux proposer mes services à d’autres groupes. Aux Francofolies, le week-end dernier, j’ai fait les lumières pour Ryvage, par exemple. Ce n’est pas seulement bon pour moi, mais ça peut aussi profiter à beaucoup d’autres artistes. C’est cool, car tout le monde a besoin d’aller un peu plus loin, de créer un peu plus. Ça permet aussi de se dire qu’on n’a pas forcément besoin de dépenser 350 euros pour un ingé lumière.
Si ça ne passe pas à la radio, si ça ne passe nulle part, je n’en ai rien à foutre. Je veux faire ce que je veux, quand je veux
Entrer en résidence, c’est une position qui s’oppose à celle du musicien autodidacte ?
Pas du tout. Que chacun aille chercher, parmi les groupes qu’ils aiment, qui a fait le conservatoire et qui ne l’a pas fait. On s’en fout royalement. Je pense qu’aucun membre de Metallica ait déjà vu un conservatoire de l’intérieur, mais c’est l’un des plus grands groupes de rock au monde, sinon le plus grand. Ce qui compte, c’est ce que tu as, et ce que tu en fais. Je connais des musiciens qui ont fait 20 ans de conservatoire et à qui il manque ce côté débrouillard et immédiat. À l’inverse, j’ai vu aussi des autodidactes qui tournent un peu en rond parce qu’ils n’ont pas les capacités de quelqu’un qui a appris. Moi, je me positionne entre les deux. J’irais beaucoup plus vite en ayant plus de connaissances théoriques, mais je pense que la théorie m’aurait peut-être empêché d’avoir les idées que j’ai aujourd’hui.
Cette dernière année, avec les confinements, on peut dire que vous étiez en résidence « do it yourself » anticipée…
Je le suis en permanence ! (Il rit.) Surtout avec Them Lights, car je ne me suis jamais fixé de « deadlines » ou d’objectifs. Ce qui m’intéressait, c’était de réussir à trouver mon identité pure, et il m’a fallu du temps. Après l’avoir trouvée, il fallait que je m’améliore. La production était quelque chose de tout nouveau au début, et depuis trois ans, je produis tout le temps en studio, pour moi ou pour d’autres artistes. Cette expérience m’aide beaucoup à choisir la direction que je veux prendre. Cette résidence-là ne s’arrêtera jamais ! Je sais que je vais finir par tout remettre en question (il rit). En tout cas, maintenant que j’ai mis le doigt sur quelque chose, c’est décidé : musicalement, je n’accepte plus aucun compromis. Si ça ne passe pas à la radio, si ça ne passe nulle part, je n’en ai rien à foutre. Je veux faire ce que je veux, quand je veux. Que ma musique montre qui je suis vraiment.
Le Covid a développé tout un nouveau langage, avec le streaming et des nouveaux formats. Avez-vous envisagé de transposer Them Lights, qui donne autant de place à la musique qu’au visuel, dans un format filmé ?
En ce qui concerne le live, ça ne m’a jamais intéressé. J’en ai fait, parce qu’il n’y avait pas d’autres choix et parce que je voulais tester le format. Mais l’être humain me manque, sa réaction, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Par contre, cette période m’a fait réfléchir à d’autres formats. J’aimerais, à long terme, partager un peu plus ce qui se passe en coulisses, des choses avec lesquelles le public n’est pas forcément familier et qui ressemble plus à mon quotidien. Je vais avoir 40 ans, et je fonce comme si j’en avais quinze. À ceux qui ont peur de se lancer parce qu’ils se sentent trop vieux ou parce qu’ils sont défavorisés, je dis que j’ai commencé à faire de la musique à 19 ans, et que j’ai commencé à produire à 38 ans. J’ai toujours peur de monter sur scène, et j’ai toujours peur d’échouer, mais je ne vais jamais arrêter. J’ai changé dix fois de boulot et de direction, mais la musique a toujours été la passion qui m’a guidé. Rien n’est trop tard si tu es vraiment motivé.
Entretien avec Valentin Maniglia