Espace d’expérimentation et d’accompagnement de la très jeune création, le Casino Display s’enracine dans l’ancienne galerie du Konschthaus Beim Engel. Visite au cœur d’un lieu voulu comme un futur vivier artistique.
Depuis quelques années maintenant, par le biais de prix (LEAP, Schuman…), de bourses, de résidences et d’autres propositions (Triennale Jeune Création), le Luxembourg soutient les jeunes artistes. Les siens et ceux des autres, dans une vision qui dépasse le simple cadre des frontières. Logique car ces derniers les franchissent régulièrement, en raison de l’absence, à domicile, d’écoles d’art. Pour centraliser cette énergie débordante et se donner au passage plus de largesse en termes de temps et d’espace, le Casino a entamé, voilà plusieurs années, des discussions avec le ministère de la Culture en vue d’une possible reprise de l’historique galerie du Konschthaus Beim Engel.
Ceux qui connaissent le lieu «atypique» – géré depuis 1981 par l’État et fermé définitivement le 1er septembre 2019 – se rappelleront de cette improbable cheminée, coincée au milieu de propositions, souvent modernes, parfois farfelues. De cette passerelle aussi, surplombant une cave sombre et froide. De ses petites pièces imbriquées sans notice de montage. Un étonnant endroit, labyrinthique et piégeux, mélange de différents matériaux et textures, symboles d’une longue histoire aux multiples reconstructions et extensions.
Jusqu’alors, on n’arrivait pas à créer une résidence de recherche où l’artiste pourrait rester plus longtemps à Luxembourg, s’y implanter…
Depuis un an et demi, la Konschthaus Beim Engel connaît donc un discret lifting, qui préserve l’ancienne structure de ce bâtiment protégé. Un réaménagement plus «fonctionnel» chapeauté par l’administration des Bâtiments publics, mené par le bureau d’architecture NJOY, et supervisé «étroitement» par le Service des sites et monuments nationaux. Avec un budget total de 420 000 euros, l’équipe n’a pris qu’un petit mois de retard dans les travaux, et depuis la semaine dernière, le Casino Display est fonctionnel. Reste maintenant à le remplir.
Avec cette «annexe», le Casino, qui depuis dix ans, mène une politique de résidence frustrante car difficilement compatible avec les impératifs «urgents» de calendrier, d’exposition, de flux de public, va pouvoir enfin souffler et mettre ses invités dans un écrin plus créatif. Kevin Muhlen, directeur du musée d’art contemporain, explique : «Jusqu’alors, on n’arrivait pas à créer une résidence de recherche où l’artiste pourrait rester plus longtemps à Luxembourg, s’y implanter… On est toujours tributaire d’un agenda serré, contraignant.» Avec une cuisine et une chambre-douche à l’étage, sous la douce lumière d’une mezzanine, l’artiste est désormais gâté (si ce n’est le bruit des travaux juste à côté).
Ce qui est intéressant, ici, c’est que le projet que l’on porte se construit dans le temps, sans pression, ni obligation
Le premier à en bénéficier n’est pas, en ce moment, avare d’expériences. On a pu le voir, il y a un mois, dans la pénombre d’un concert-test à la Rockhal sous son pseudonyme électronique Cleveland. On le retrouve aujourd’hui sous son vrai nom, Andrea Mancini, jeune créateur branché son contemplatif, qu’il concocte en triturant et combinant les textures. Durant six mois, durée d’une résidence au Casino Display, il compte «poursuivre sa recherche sur l’hétérotopie», capter les vibrations d’ArcelorMittal (Schifflange) ou de l’aéroport, faire des performances «live», rencontrer des étudiants…, détaille-t-il, enthousiaste. Il n’y est pourtant pas obligé.
«Ce qui est intéressant, ici, c’est que le projet que l’on porte se construit dans le temps, sans pression ni obligation, complète-t-il. Une perche que saisit sans attendre Christine Walentiny, coordinatrice du nouveau lieu : «L’artiste n’est pas tenu à un résultat, n’est pas obligé de faire une exposition. C’est à lui de décider si ses recherches sont abouties et s’il veut les montrer à un public. Au Casino, la résidence durait huit semaines, avec un projet fini à présenter. Là, il n’y a pas de commande, ce qui offre plus de largesse et de liberté.» Sans oublier un soutien sûrement plus attentif et appliqué.
Cette implication pédagogique s’applique aux deux autres axes, essentiels à la structure : l’orientation et la prospection. Pour le premier, «jeunes artistes, étudiants, lycéens qui chercheraient un premier contact avec le milieu de l’art» pourront y trouver des conseils et appuis, devant les aider à obtenir des «débouchés» et des écoles promptes à les accueillir. Car au pays, les perspectives pour ceux qui veulent rester sont minces : un BTS des Arts et Métiers, un master d’architecture ou un bachelor en dessin d’animation. Pour ce faire, il y a même «deux professeurs détachés qui nous aident dans ce lien avec les écoles», précise Christine Walentiny.
Pour le second, le Casino Display compte tisser un réseau avec des établissements scolaires à proximité (comprendre dans la Grande Région et plus si affinités). Quatre sont déjà dans les starting-blocks : l’Ensad (Nancy), la HEAR (Strasbourg/Mulhouse), la HBKsaar (Sarrebruck) et l’ÉSAL (Metz/Épinal). Celle-ci s’est déjà mise en évidence avec un premier «travail de recherche » autour de ce que l’on appelle le «paratexte», soit «tout ce qui ne fait pas partie du contenu d’un livre», intervient la coordinatrice, appuyée dans sa tâche jusqu’à la fin de l’année par Nadina Faljic, commissaire associée. Sur les murs, des titres recomposés, des phrases qui n’en finissent plus, comme sortis de la bibliothèque défraîchie du Casino Display. Et on n’a même pas demandé l’avis à Andrea Mancini pour la décoration. Ça commence bien.
Grégory Cimatti