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[Livre] « Comme si j’étais seul » : face à la barbarie de Srebrenica


À 31 ans seulement, Marco Magini a déjà habité au Canada,aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Turquie et en Inde. (photo DR)

Italien de 31 ans, Marco Magini signe Comme si j’étais seul, un premier roman aussi formidable que sobre. Un texte polyphonique avec pour décor la guerre d’ex-Yougoslavie et le massacre de Srebrenica.

commeAu hasard d’une promenade surinternet, Marco Magini s’arrête sur une page du site Wikipédia. Là, il découvre le nom de Drazen Erdemovic. JeuneItalien qui file tranquillement versla fin de ses études, il veut en savoir plus sur cet homme. Jusqu’alors, iln’a jamais pensé à écrire un livre,mais ses recherches et ce qu’il vatrouver le poussent à passer à larédaction d’un roman.

Un premier roman au joli titre, empli de tristesse et de questionnement  : Comme si j’étais seul . Et c’est ainsi que Marco Magini, à 31  ans, signe un tout aussi formidable que sobre roman de l’horreur. Cette horreur qui a frappé, sévi à moins de deux heures d’avion de Luxembourg ou de Paris; cette horreur qui, au final, a explosé un pays qui s’appelait Yougoslavie…

Avec une maîtrise impressionnante, Marco Magini a écrit le roman du choix –  ou du non-choix. Du choix impossible. Comme si j’étais seul est aussi un roman polyphonique. Avec trois personnages principaux  : Drazen Erdemovic, jeune (20 ans) Serbo-Croate qui s’est retrouvé dans les rangs de l’armée croate et à qui on a donné le choix  : tuer ou être tué; le juge espagnol Romeo Gonzalez au Tribunal pénal international de La Haye, et le Néerlandais Dirk, Casque bleu de l’ONU qui s’est retrouvé devoir assurer l’ordre dans un conflit qu’il ne comprend pas…

Le seul à reconnaître sa participation à Srebrenica

Tout tourne autour de Drazen Erdemovic, personnage qui a donc véritablement existé. À 20 ans, il ne se sent pas trop concerné par les luttes entre Serbes, Croates, Bosniaques, Slovènes… Il a signé avec l’armée pour assurer le quotidien de sa famille sans avoir la moindre conscience politique, religieuse, communautaire. Et puis un jour, il refuse d’obéir aux ordres. Il refuse de tirer, de tuer dans cette guerre qui fera des milliers et des milliers de victimes avec, en point d’orgue du 12 au 16 juillet 1995 dans la région de Srebrenica, pas moins de 8  000  civils bosniaques musulmans exécutés par des soldats serbes. Drazen Erdemovic sera le seul militaire à reconnaître sa participation au massacre. Il sera aussi le seul jugé puis condamné par le Tribunal pénal international de La Haye…

Marco Magini explique  : « Les trois personnages ont en commun la guerre et Srebrenica. Mais aussi, et surtout, le choix. Un choix impossible à faire… » Il dit aussi  : « Beaucoup d’écrivains ont écrit sur la guerre, c’est très intéressant parce que c’est une façon de montrer les sentiments humains les plus extrêmes, de mieux comprendre aussi l’humanité… » Dans les pages de Comme si j’étais seul où alternent les interventions des trois personnages, la violence est omniprésente. Mais Magini ne la fait pas éclater aux yeux du lecteur.

Cette violence n’est jamais obscène, elle transpire, saisit, cingle… Et surgissent des questions, parmi lesquelles  : face à la barbarie, que faire? Et surgit un constat qui, dans la guerre de ce qui allait devenir l’ex-Yougoslavie, s’impose avec les mots étourdissants du jeune romancier italien  : «À Srebrenica, la seule façon de rester innocent était de mourir.»

D’autres mots claqueront longtemps aux yeux et aux oreilles du lecteur  : «Tuer un enfant est un bruit sec qui sort de mon fusil.». Ce lecteur qui, le livre de Marco Magini refermé, se posera longtemps, encore et encore, «LA» question  : l’homme a-t-il toujours le choix ?

Serge Bressan

Comme si j’étais seul, de Marco Magini. HC éditions.

Cinq livres pour la mémoire

La guerre en ex-Yougoslavie dans les premières années de la décennie 1990 a été et reste source d’inspiration pour les romanciers. Parmi tous les livres parus, une sélection de cinq textes indispensables pour le devoir de mémoire.

Journal de guerre. Dans Sarajevo encerclée, de Zlatko Dizdarevic (Spengler, 2001).

Non pas un journal de guerre, mais celui d’un fou. Ou plutôt celui d’un homme normal dans un monde qui est devenu fou. Autour de cet homme, tout change. La ville n’est plus une ville, mais une île perdue, entourée par les vagues ennemies, un morceau de terre flottant sur une mer de haine, une capitale qui dérive depuis… Depuis quand? C’était il y a longtemps. Quand le pays s’appelait Yougoslavie…

Le Jardinier de Sarajevo de Miljenko Jergovic (Actes Sud, 2004).

En vingt-neuf nouvelles, la chronique kaléidoscopique d’une Bosnie ravagée par l’éclatement de la Yougoslavie. Avec un étrange détachement, le narrateur promène son regard sur les familles, les amants, les victimes, les bourreaux, les animaux, les plantes, les objets «sans qualités». Le pathétique côtoie l’ironie et la cruauté la nostalgie pour mieux préserver, dans toute sa complexité, l’image éparpillée du monde.

Millénaire à Belgrade de Vladimir Pistalo (Phébus, 2008).

La ville? Belgrade. Le rêve? Celui de toute une génération, celle désenchantée de Boris, Ballé, Irina, Zora et Milane. Un groupe d’amis qui, à peine sorti de l’adolescence au début des années 1980, au moment de la mort de Tito, envisage, plein d’espoir, un avenir affranchi de la «pensée unique». Tous s’accrochent avec une énergie farouche, et souvent délirante, au moindre soubresaut d’une ville qui voit les guerres successives l’engloutir. Une ville héroïne…

L’Hiver des hommes de Lionel Duroy (Julliard, 2012).

Le narrateur, Marc, enquête sur le suicide d’Ana Mladic, fille du commandant en chef des armées serbes lors du siège de Sarajevo, surnommé «le boucher de la Bosnie» et accusé de génocide par le Tribunal pénal international de La Haye. Marc en est convaincu  : ce suicide a un sens. Car la fille du général a utilisé l’arme préférée de son père.

Robert Mitchum ne revient pas de Jean Hatzfeld (Gallimard, 2013).

Au printemps 1992, les Serbes encerclent Sarajevo. Vahidin et Marija, deux athlètes de l’équipe yougoslave de tir, s’entraînent en prévision des JO de Barcelone. Tous deux sont bosniaques, et amants; lui est musulman, elle est serbe. Ils vivent à Ilidza, une banlieue de Sarajevo, sans s’être jamais souciés de leurs origines. Pourtant, ils vont être brutalement séparés par le siège puis, au fil des mois, enrôlés dans des camps opposés en raison de leurs exceptionnels dons pour le tir.

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