Pour avoir questionné l’image d’une «Bretagne celtique», une exposition crée la polémique à Rennes, s’attirant les foudres du musicien Alan Stivell et d’un professeur d’université.
L’idée du musée était de répondre à la question : pourquoi la Bretagne est le territoire en France qui incarne le plus l’héritage celtique?», a expliqué Corinne Poulain, directrice générale des Champs Libres, le bâtiment qui abrite le musée de Bretagne, à Rennes, où se tient l’exposition «Celtique?» depuis le 18 mars. La culture celtique n’est en effet pas spécifique à la péninsule armoricaine. À l’âge de Fer, les populations appelées «Celtes» occupaient une large partie de l’Europe, au Ier millénaire avant notre ère.
Après une riche partie archéologique, avec pièces, statuettes et couteaux de l’âge de Fer, l’exposition explore l’évolution de la «construction d’un récit celtique», du Moyen Âge au XIXe siècle, puis les régionalismes et nationalismes du XXe siècle. En conclusion, un panneau intitulé «Alors, adieu les mythes?» évoque la «construction longue, non linéaire, mais particulièrement volontaire» de l’image d’une «Bretagne celtique» née d’un «besoin universel de se différencier», «quitte à créer de toutes pièces un héritage». «Il n’y a pas de filiation directe entre les faits culturels d’aujourd’hui et ceux des populations de l’Antiquité», assène alors la conclusion.
«Manipulation des esprits»
«C’est un peu la thèse que la Bretagne a été créée au XIXe siècle», regrette un membre du comité scientifique de l’exposition, sous couvert de l’anonymat, en se disant «un peu gêné» par certains panneaux découverts lors de l’inauguration.
Fin mai, le musicien et militant de la culture celtique Alan Stivell, parrain de l’exposition, a claqué la porte en vilipendant une «manipulation des esprits» et un traitement biaisé. «Beaucoup trop d’éléments sont montrés de façon sectaire et idéologique», a-t-il dénoncé sur Facebook.
Un professeur monte au créneau
Un mois plus tard, c’est un professeur de culture et langue bretonnes à l’Université de Rennes 2, Ronan Le Coadic, qui a pointé des «falsifications» dans un long article intitulé Manipulation idéologique au musée de Bretagne. «Comment peut-on dire qu’il n’y a pas de filiation culturelle quand il y a une filiation linguistique?», interroge le sociologue dans un entretien, en soulignant la filiation attestée entre le breton et les langues celtiques de l’Antiquité.
En outre, «il est faux d’affirmer que l’image de la Bretagne celtique serait simplement la construction de Bretons», estime-t-il. Car ce sont les auteurs français qui «ont collé l’étiquette « celtique » sur les Bretons afin de souligner leur sauvagerie et leur arriération», le mouvement breton ayant simplement cherché à «inverser le stigmate», selon lui.
Des corrections à venir
Le professeur regrette également que les travaux d’ethnologie de Donatien Laurent, montrant une filiation entre un rite celtique et une procession religieuse catholique, n’aient pas été pris en compte. «Il n’y a pas de jugement de valeur», tempère Corinne Poulain. «On part du principe que toute culture est issue d’une fiction et d’une réalité», assure-t-elle, tout en reconnaissant «quelques maladresses» et des «adjectifs un peu déplacés».
L’exposition sera corrigée durant l’été, promet la directrice. «Notre but n’est pas de nourrir la polémique. On en est désolé car ça nuit à l’objet de l’exposition qui est de transmettre des connaissances», explique-t-elle. La conclusion, «trop fermée» et en contradiction avec certaines parties de l’exposition, sera notamment «étoffée» et «mise en perspective», promet-elle.
Une définition très large du «celtisme»
Une série de questions-réponses, tout au long de la visite, sur le thème «Celte/pas Celte» devrait également être modifiée : le roi Arthur et l’hymne breton, le Bro gozh ma zadoù («Vieux pays de mes pères»), y étaient qualifiés de «pas celtes» car pas issus de l’âge de Fer. Des réponses d’autant plus surprenantes que plusieurs scientifiques, interrogés en début d’exposition, donnaient une définition très large du «celtisme», en fonction de leur discipline.
Une archéologue y soulignait d’ailleurs que le terme «celtique» a été abandonné dans le domaine scientifique. Dans l’ouvrage Les Celtes, histoire d’un mythe (2014), l’archéologue Jean-Louis Brunaux, chercheur au CNRS, ne disait pas autre chose, estimant «obsolète» le concept de Celtes car «trop vaste et trop vague».
«Celtique?», jusqu’au 4 décembre. Musée de Bretagne – Rennes.
Voici l’argumentaire de l’universitaire cité, Ronan Le Coadic :
https://abp.bzh/une-manipulation-ideologique-au-musee-de-bretagne-a-55347
Le nationalisme français s’est toujours construit sur la négation ou la dévalorisation des peuples qui composent la France.