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Etel Adnan à Pompidou-Metz : quand l’écriture et le dessin ne font qu’un


Avec ses «leporellos» sur lesquels elle mélange peinture et écriture, l’artiste iranienne de 96 ans explique avoir voulu créer «un fleuve de poésie».

L’écriture manuscrite et le dessin se répondent et s’exposent : le Centre Pompidou-Metz met à l’honneur les œuvres de la poétesse et peintre libanaise Etel Adnan, liant les deux arts pour les faire dialoguer avec des manuscrits anciens.

«Le rêve d’Etel (Adnan) était que l’écriture, qui est du domaine de l’intime, devienne monumentale» et «qu’un musée montre ce rapport entre l’écriture et le dessin qui est très fort chez elle», explique Jean-Marie Gallais, commissaire de l’exposition «Écrire, c’est dessiner».

Plusieurs des «leporellos» de la poétesse, ces livres-accordéons qui se déplient et peuvent faire près de dix mètres de long, où «l’écriture-dessin est complètement imbriquée», sont exposés. Elle y a recopié des poèmes d’auteurs irakiens contemporains, notamment Abd el-Wahhab al-Bayati et Badr Shakir al-Sayyab, avec qui elle était amie.

Sur ces leporellos, Etel Adnan explique «dessiner l’arabe» plus que l’écrire : elle a voulu créer «un fleuve de poésie» avec cet alphabet qu’elle trouve «plastique». Pour elle, l’arabe est une langue qu’elle entendait enfant, puis qu’elle a réappris sur le tard et qu’elle a indiqué n’avoir jamais totalement maîtrisée.

«Mon père m’apprit l’alphabet arabe et me le fit copier une centaine de fois», raconte-t-elle dans un texte publié dans le catalogue. «Tout à coup (…) j’ai dû m’asseoir et copier – ce qui voulait dire reproduire des mots dont je connaissais l’alphabet, mais que je comprenais rarement – n’essayant jamais d’apprendre ce que je copiais; je crois que j’aimais ce fait d’écrire des choses que je ne comprenais pas et je prétendais que j’apprenais une langue sans efforts, rien qu’en l’écrivant.»

«Nouveau monde artistique»

Etel Adnan en 2008. (Photo : Nanwieser)

Car Etel Adnan écrit en français et en anglais et son cosmopolitisme irrigue son œuvre : elle est née en 1925 au Liban, alors sous mandat français, d’un père syrien de Damas, ancien officier de l’Empire ottoman, et d’une mère grecque de Smyrne, Izmir en Turquie actuelle. Elle a étudié d’abord à Paris dans les années 1950 avant de partir s’installer aux États-Unis, où elle s’est prise de passion pour l’anglais.

C’est là, d’ailleurs, qu’elle dit avoir été sensibilisée aux «possibilités visuelles de la manipulation des lettres et des mots», même si c’est «l’élasticité de la langue arabe» qui prime dans son travail. «Je m’ouvris, avec euphorie, un nouveau monde artistique dont j’allais explorer les possibilités dans l’acte même de peindre», écrit Etel Adnan.

D’anciens manuscrits rarement exposés répondent à ses œuvres, comme un papyrus de l’Égypte ancienne aux couleurs éclatantes représentant un extrait du Livre des morts, prêté par la Bibliothèque nationale de France (BNF). Autres prêts exceptionnels : des livres d’enluminures des XIVe et XVe siècles, de la bibliothèque de Metz, et un manuscrit mérovingien du VIIIe siècle prêté lui aussi par la BNF. Jean-Marie Gallais a ainsi souligné «l’enthousiasme» de ces institutions, dont la BNF, à prêter ces manuscrits, exposés à basse lumière du fait de leur «fragilité».

4 000 ans d’écriture

«Il était essentiel d’aller chercher des choses beaucoup plus anciennes qui montrent que cette imbrication écriture et dessin existe depuis l’existence de l’écriture, voire avant», détaille-t-il devant une tablette en argile d’écriture cunéiforme datant de 1 750 avant notre ère. À travers cette exposition qui traverse 4 000 ans d’histoire des arts manuscrits, Etel Adnan a aussi voulu mettre en lumière le rapport physique à l’écriture manuscrite. Deux lettres originales de Vincent Van Gogh et un dessin de Rimbaud venant d’un de ses cahiers d’écolier, qui représente des scènes de vie – «le traîneau», «la balançoire», «la messe»… – sont proposés au public.

Exposés à leurs côtés, un dessin de Marguerite Yourcenar, un manuscrit du poète palestinien Mahmoud Darwish et un autre de Victor Hugo (premier écrivain français à conserver ses manuscrits et à les léguer à la BNF), pour que le visiteur «s’imagine le trajet de (leurs) mains». Une réflexion intéressante lorsque l’on s’arrête devant un dessin de Pierre Alechinsky, gaucher contrarié et ambidextre qui célébrait la spontanéité du geste.

Autre souhait d’Etel Adnan, que ces manuscrits «soient regardés avec la même intensité» qu’un tableau ou une sculpture, précise Jean-Marie Gallais. L’exposition ne dure que trois mois à cause de la «fragilité» et du «caractère exceptionnel des œuvres présentées», dont la plupart ne sont pas «remplaçables par des équivalents», selon le commissaire de l’exposition.

Jusqu’au 21 février 2022.
Centre Pompidou-Metz.

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