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Douglas Kennedy sonde l’Amérique ubérisée et radicale


Parfois, souvent même, la genèse d’un roman tient à presque rien. Un trajet en taxi à Washington, une discussion avec le chauffeur qui confie avoir été licencié de son emploi, qu’il est gay, que son mari est un ancien militaire et qu’à présent, ils sont confrontés à des problèmes d’argent. Ce peut être aussi la lecture d’un article relatant l’assassinat d’un médecin pratiquant des avortements dans une clinique… Deux faits de la vie qui va.

La vraie tragédie de la vie, c’est lorsque les hommes ont peur de la lumière

Deux faits qui accrochent l’écrivain américain Douglas Kennedy, et les voilà, mixés, quelques mois plus tard, au cœur d’un nouveau roman, Les Hommes ont peur de la lumière. Un titre inspiré par une citation du philosophe grec Platon dans un livre essentiel, La République : «On peut aisément pardonner à l’enfant qui a peur de l’obscurité; la vraie tragédie de la vie, c’est lorsque les hommes ont peur de la lumière.»

D’entrée, on monte dans le taxi. Un Uber. Le chauffeur se prénomme Brendan, il a la cinquantaine résignée, a préféré ce métier à d’autres «jobs de cauchemar sous-payés, comme s’enterrer vivant dans un entrepôt Amazon huit heures par jour». Pour lui, c’était simple comme une certitude : «Nous sommes tous capables de nous relever, d’épousseter nos vêtements et de repartir de zéro.» Mais le système est implacable – encore Brendan : «Un autre mensonge que se répètent les Américains… mais un mensonge nécessaire, peut-être. Sinon, comment trouver l’énergie de se lever tous les matins?».

Flotte dans ces pages d’ouverture un même air que celui qui irriguait Sorry We Missed You (2019), film de Ken Loach dénonçant les dérives de l’«ubérisation». Dans un Los Angeles crépusculaire, une autre certitude : la journée va ressembler à toutes les précédentes, et à toutes celles qui suivront… Un premier passager peu amène – «le ton était légèrement agressif, typique des gens persuadés que « le temps, c’est de l’argent » et qu’il suffit de parler plus fort que tout le monde pour avoir raison». Puis une autre, pressée, et ensuite un type discret d’une grosse trentaine d’années…

Brendan est marié à Agnieska, qui milite dans une association pro-vie avec Todor, son meilleur ami, prêtre et mili-tant anti-avortement – un sujet furieusement d’actualité ces temps-ci outre-Atlantique, au pays présidé par Joe Biden mais qui, dans certains États, n’oublie pas Donald Trump. Un jour, qui pourrait être semblable à tant d’autres, dans son taxi, Brendan prend une nouvelle cliente, Elise, ancienne prof à la faculté et qui, à présent, aide des femmes dans le besoin à se faire avorter.

Tout est calme dans la ville des anges, le soleil est au rendez-vous. Le chauffeur conduit, c’est une belle journée. Là, sur le côté, un bâtiment. Soudain, une explosion. Le bâtiment, dévasté, abritait une des rares cliniques pratiquant l’avortement. Démarre alors l’autre séquence du roman : l’enquête. On y apprend que les «Angels Assist», ce groupe de militants anti-avortement, sont soutenus par un milliardaire. On lit : «C’est ça le problème dans ce pays. Quand on a besoin de moyens, on doit lécher les bottes d’un millionnaire au lieu de demander à l’État. Il ne faudrait quand même pas que l’argent du contribuable finance autre chose que l’armée, la police et les cadeaux fiscaux aux riches.» But avoué de ce groupe : aider des jeunes femmes enceintes ne désirant pas être mère à mener leur grossesse à terme et à faire adopter leur enfant.

Évidemment, derrière le prétexte de la bienfaisance, ce sont trafic humain et esclavage sexuel entretenus par un réseau-pieuvre. Un jour, Klara, la fille de Brendan qui travaille dans un refuge pour femmes battues, sera la cible du réseau… Dès lors, pour Brendan, le temps est venu de ne plus «se laisser dominer par la peur». Et derrière l’angoisse, on retrouve Douglas Kennedy au meilleur de sa forme littéraire, pour un roman aussi noir qu’empli d’espoir.

 

Douglas Kennedy – Les hommes ont peur de la lumière

Belfond

Photo : max kennedy

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