Les artistes luxembourgeois hébergés chez Foqus se mettent en avant sur la plateforme de financement participatif Patreon. Une manière de proposer des contenus exclusifs aux fans en manque de concerts… et de se rapprocher d’eux, en pleine période d’isolement.
Mise sur pied tout récemment, en octobre dernier pour être précis, la société Foqus appuie la carrière de quelques musiciens du Grand-Duché, la plupart à l’expérience naissante, grâce à un système d’encadrement à «360 degrés», lâche Elvis Duarte, l’un des quatre fondateurs. En somme, un suivi total – parfois échelonné sur trois ans – et un soutien de tous les instants destinés «aux artistes nationaux qui veulent vivre de leur passion», poursuit-il, sans oublier de faire les yeux doux à l’international depuis le siège de Differdange.
Autant de louables intentions qui se sont effondrées tel un château de cartes en plein vent avec la pandémie du coronavirus, obligeant les artistes à rebondir et à faire avec les moyens du bord, en l’occurrence, le numérique, bien utile quand on est confiné pour deux mois. Il y a eu notamment l’initiative, louable, de Serge Tonnar et son «Live aus der Stuff». Celle imaginée par Foqus est, disons, moins ludique. «Les artistes vivent des concerts. Sans live, ça se complique… Il fallait se poser la question ensemble : « Qu’est-ce qu’on peut faire de différent? »», précise Elvis Duarte.
« J’avais des projets, et d’un seul coup, plus rien »
C’est là que la plateforme de financement participatif Patreon – sur laquelle le public peut aider un artiste à hauteur de 3 à 10 euros par mois – s’est imposée comme une évidence en ces temps de vache maigre, idée d’autant plus appropriée que les musiciens de Foqus sont assez jeunes, et par l’entremise de réseaux sociaux, restent en contact avec leurs fans. C’est le cas du rappeur Maz, au flow aussi rapide qu’une mitraillette, qui apprécie cette toute nouvelle orientation…
«Ça prouve au passage qu’il existe plusieurs méthodes pour vivre de sa musique et faire plaisir à ceux qui vous suivent», lâche-t-il dans un débit élastique, frustré, comme il le confie, que le Covid-19 l’ait «coupé dans son élan». «J’avais des projets, des concerts, des ateliers dans des lycées, et d’un seul coup, plus rien…». Des congés forcés qui lui auront au moins permis de gérer son statut d’intermittent, qui commencera «en avril», et un trop-plein d’émotions que le garçon va évacuer sur Patreon, comme il le promet sur ledit site : «Ça en dira plus sur moi que tout ce que j’ai posté sur YouTube!»
Des promesses, toujours selon l’intéressé, qui pourront prendre une forme classique – soit des photos ou vidéo BTS (behind the scene) ou plus personnelle : «Je voudrais témoigner comment je passe mon quotidien à écrire des chansons et d’autres trucs», comme la poésie, par exemple, l’une de ses autres passions. Une manière pour lui de dire «qui je suis, et qui j’aimerais devenir», surtout au vu «de ce que j’ai appris ces derniers mois».
Poèmes et cours de danse
Sacha Hanlet, batteur-chanteur de Mutiny on the Bounty et tout seul derrière le projet moins énervé Them Lights, a aussi des talents cachés, notamment pour la danse, qu’il «travaille» tous les jours avec ses filles de 6 et 2 ans. «C’est elles qui m’apprennent. Et ça ne sera pas mis en ligne!» (il rit). Lui aussi, comme les autres membres de Foqus, doit encore se donner avec largesse pour mieux saisir les potentiels de Patreon.
Et malgré ses escapades en solo, il prône toujours les vertus du collectif : «Par cette approche, on fait quelque chose ensemble, et on donne l’opportunité à d’autres groupes de personnes de s’engager pour des artistes qu’ils aiment. De petits gestes mis bout à bout peuvent devenir de grandes choses», glisse-t-il philosophiquement. Et la solidarité n’est pas un vain mot, lui qui reconnaît «avoir plus à faire qu’avant» la crise, notamment au cœur de son propre studio, où «des initiatives se créent».
Il consacre tout de même un peu de temps à Patreon, sur lequel il compte partager des choses «inhabituelles», par exemple, du «matériel en cours de construction, ou qui ne sortira jamais». Il envisage même d’inclure ses fans dans le processus de création, à travers l’écriture notamment. Bref, tout reste ouvert, même pour Foqus, selon Elvis Duarte. «Si on donne des idées à d’autres, tant mieux!» Et pour ceux qui hésitent, c’est simple : «Qu’ils viennent vers nous!»
Grégory Cimatti
https://withfoqus.com
CHAiLD : « Avec cette nouvelle démarche, les relations avec les fans seront plus fusionnelles »
Chanteur estampillé pop à l’univers singulier et mélancolique, CHAiLD connaissait, ces derniers mois, un vrai boom auprès du public luxembourgeois et au-delà des frontières. Mais voilà, la crise sanitaire étant, il a dû, avec ses compères de Foqus, revoir ses plans et se lancer sur la plateforme Patreon. Confidences.
Comment vous-êtes vous retrouvé sur Patreon?
CHAiLD : Mi-mars, mon show avec Maz, prévu à la Kulturfabrik, a été reporté. Sur le coup, c’était un choc. On était tous un peu à se dire : « Mais qu’est-ce qui se passe! » Puis la situation s’est emballée… Je me rappelle cette réunion de crise avec les membres de Foqus, où mon manager faisait ses projections, calculant les pertes financières… Car, et c’est un fait : on vit du live, et ce n’est pas Spotify ou YouTube qui vont me rémunérer correctement (il rit). Le schéma est simple : pas de concert, pas de studio, et pas de studio, pas de musique! Et plus de carrière… On a alors cherché une solution alternative.
D’où Patreon…
Oui, même si au départ, je n’étais pas à l’aise, car je ne suis pas le seul à souffrir économiquement de cette crise. Je ne voulais pas arriver et dire : « S’il vous plaît, donnez moi de l’argent! » Foqus m’avait déjà parlé de Patreon, mais ça ne m’intéressait pas trop. Il y avait des concerts programmés cet été. Tout roulait… Mais comme l’avenir est devenu incertain, le choix était alors tout fait.
Comment voyez-vous cette plateforme?
Disons que l’on est financé chaque mois par des mécènes, entre 3 et 10 euros par mois. Ce n’est pas colossal, hein, disons que ça fait un paquet de cigarettes en moins (il rit). Mais ça ne s’arrête pas à du sponsoring : les fans intègrent alors le projet en notre compagnie, ce qui leur permet de mieux nous connaître et qu’ils se disent : « Sans moi, ce projet n’aurait jamais existé! ». Pour les gens qui me voient sur scène, m’écoutent à la radio, je suis CHAiLD. La plupart ne connaissent pas mon vrai nom! Avec cette nouvelle démarche, les relations seront, disons, plus fusionnelles.
À quoi vous attendez-vous?
Franchement, à rien! Ça reste la meilleure manière de ne pas être déçu. Mais quand je regarde mes mails, que je vois les dons et d’autres propositions, ça me fait chaud au cœur! Du coup, ça donne envie d’en faire plus, d’être à la hauteur de ces soutiens, voire de donner plus encore en échange.
Justement, qu’est-ce que vous allez offrir?
Je suis très productif (vidéos, chansons, photos…), trop même, vu que beaucoup de matériel ne sort jamais. J’ai plein de choses inédites dans ma malle aux trésors (il rit). À un moment, on avait même fait des posters… Bon, on n’en est qu’au début. Ça demande encore réflexion. Surtout que j’aime être proche de mes fans : je passe d’ailleurs au moins une heure par jour sur Instagram pour répondre à tous les messages que je reçois. Mais si ça ne tenait qu’à moi, je jouerais dans leur salon, mais actuellement, ce n’est pas conseillé…
Financièrement, comment allez-vous vous en sortir? Les contributions ne sont pas faramineuses…
Il y aura toujours des jours meilleurs! Et je ne suis pas à plaindre : je suis chez mes parents, qui restent mes plus gros contributeurs! Et j’ai mis de l’argent de côté, celui des bourses d’aide artistique, des passages à la radio, des concerts qui ont bien marché… Bon, l’argent de la Sacem, je ne l’aurai qu’en janvier 2021, mais mon petit pécule me permet toutefois de démarrer quelques projets. En outre, certains partenaires comprennent aussi qu’on ne pourra pas les payer de suite. Il faut que tout le monde prenne du recul et se dise : « O. K., on est tous dans la même merde! »
Que retenez-vous de la situation?
Disons que la quarantaine montre qu’on peut difficilement se passer de musique, mais aussi de films, de livres… Oui, c’est vrai, sans culture, on ne meurt pas, mais franchement, que serait un monde sans elle? C’est une vraie réflexion que l’on doit tous avoir alors que le secteur souffre de la crise. Surtout que l’on ne sera pas toujours enfermés.
Recueilli par G. C.