« Dystopian Dream », nouvelle création de théâtre-danse du duo Wang Ramirez d’après l’album de Nitin Sawhney, sera présenté en première mondiale, vendredi, au Grand Théâtre de Luxembourg.
L’an dernier, vous avez travaillé sur l’amour et le couple dans Everyness. Là, vous revenez avec une pièce aux sujets beaucoup plus graves : le populisme, l’isolement, la reddition. Que s’est-il passé en un an pour qu’il y ait un tel changement, pour passer de quelque chose de très positif à quelque chose de très négatif ?
Sébastien Ramirez : Rien de spécial. Il ne faut chercher là aucune transition particulière. Dystopian Dream est une commande avec un sujet déjà entamé, une réflexion, un sentiment. On a rencontré Nitin Sawhney, le compositeur, et on a collé à son album, à ses inspirations. Notre travail là-dedans a justement été d’absorber toutes ces énergies, ces émotions et essayer de les retranscrire au mieux sur scène. Notre objectif était de voir comment on arriverait à s’adapter à une histoire déjà présente. Bon, tout ça reste abstrait, ce sont avant tout des émotions musicales, un ressenti personnel, mais retranscrire tout ça dans une chorégraphie était un challenge.
D’autant que la musique de Sawhney est particulière, entre electro, jazz et musiques aux sonorités indiennes, asiatiques. Qu’est-ce qui vous a particulièrement plu dans ces compositions ?
Honji Wang : En fait, on travaille surtout sur la couleur des différents tableaux. On ne s’est pas contentés de dire : « comme c’est un morceau plutôt electro, on va proposer une chorégraphie electro ». Ce qu’on propose, c’est surtout un voyage entre les différentes sphères de la musique.
S. R. : Ce qui nous a surtout attirés dans ce projet, c’est justement le challenge de passer d’un album musical préexistant à une création scénique. Entrer dans le monde très riche et versatile de ce compositeur dont on aimait déjà la musique à travers ses albums précédents. Pour nous, c’est donc un grand plaisir de travailler dans son univers.
Les sujets du populisme et de l’isolement sont malheureusement d’actualité…
H. W. : Oui, mais si on compare cette pièce à d’autres qu’on a faites précédemment, celle-ci est tout de même plus abstraite, comme son titre le dit : onirique.
Un univers onirique qui doit offrir pas mal de possibilités à des artistes.
H. W. : Onirique, oui, mais aussi parfois très présent, simple, concret.
Comment est-ce que tout cela se traduit sur scène ?
S. R. : On a dû d’abord digérer la musique, la comprendre et après trouver des esthétiques de mouvement qui collent avec les émotions abordées. Chaque morceau a une inspiration particulière, à nous de les absorber et les retranscrire et de faire ressortir ce qui se trouve aussi dans la globalité de ces 70 minutes de musique. D’un point de vue pratique, les spectateurs vont pouvoir voir un travail de gréage, ces câbles qui nous permettent de développer un travail de danse aérienne, assez important, un travail très visuel et un lien très fort avec la lumière, la vidéoprojection – il y a un travail énorme autour de ça –, le volume, etc. C’est une pièce avec différentes couches.
Vous avez justement toujours aimé mélanger les différents arts. Sur votre site internet, vous insistez beaucoup sur le fait que cette création a lieu également « avec le chant d’Eva Stone, des projections animées de Nick Hillel, les costumes de Hussein Chalayan, un éclairage de Natasha Chivers et une scénographie de Shizuka Hariu ». Ce ne sont pas de simples apports, tout est vraiment englobé dans la création si on comprend bien…
S. R. : Oui, c’est notre spécificité. On aime mettre ensemble tous ces aspects, que ce soit la lumière, la vidéoprojection, le chant, l’interprétation, la musique. Ils ne sont pas juste là pour accompagner la danse, ils font entièrement partie du spectacle. On a eu la flexibilité de pouvoir décortiquer certains morceaux, de pouvoir créer des transitions, parce qu’il faut bien comprendre que composer un album et créer une pièce ce n’est pas du tout la même chose. Nous devions passer d’un album de 15 morceaux à une pièce entière qui ait un sens global.
H. W. : Au départ, on ne savait pas trop comment attaquer l’album. Nitin Sawhney tenait à ce que l’album reste tel quel, qu’on garde l’ordre des morceaux. Mais il a tout de même accepté qu’on en rallonge quelques-uns, qu’on en fusionne d’autres pour des besoins de dramaturgie.
Tout ça en gardant votre langage chorégraphique qui vient du hip-hop et de la danse contemporaine. C’est bien ça ?
S. R. : Nous sommes des danseurs hip-hop. Notre vocabulaire a toujours été et reste donc le hip-hop. Mais on ne fait pas des spectacles de hip-hop. On se déplace dans une plateforme de danse contemporaine. Ce Dystopian Dream est une création de théâtre-danse.
H. W. : Un spectacle qui ne s’adresse pas qu’à un type de spectateurs. Notre but est de toucher un public vaste, pas uniquement des spécialistes de danse ou de hip-hop, de faire voyager les spectateurs le temps qu’ils sont au théâtre et les inspirer une fois qu’ils en sont sortis.
S. R. : Le défi de tout créateur n’est pas de proposer quelque chose de complexe dont il faut connaître les codes, mais d’être accessible à tout le monde de manière subtile pour arriver à faire bouger les gens, dans leurs rêves, dans leurs pensées, etc.
Vous présentez cette pièce à Luxembourg en première mondiale. Comment s’est fait ce choix ?
H. W. : On est encore en train de finaliser le projet, on passe toute cette semaine ici et c’est une chance incroyable de travailler dans ce théâtre, avec Tom (NDLR : Leick, le directeur des Théâtres de la Ville) et son équipe. On a la scène à notre disposition pendant une semaine, pour répéter, finaliser, etc. C’est super !
Entretien avec Pablo Chimienti