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[Critique] «Holy Spider», une journaliste prise dans la toile


À travers le personnage de Rahimi, Ali Abbasi dénonce une société sexiste qui fabrique des meurtriers. (Photo : Metropolitan Filmexport)

Entre charge politique anticorruption et humour insolent, l’Irano-Danois Ali Abbasi fait de Holy Spider (en compétition officielle), film de tueur en série qui s’ouvre sur une dénonciation de l’extrémisme religieux, livre son chef-d’œuvre.

Difficile d’oublier Border, un choc de l’édition 2018 du Festival de Cannes, sélectionné à Un certain regard. Le ton unique d’Ali Abbasi et les «freaks» qui peuplaient son film faisaient sortir le polar tragicomique des carcans hérités des frères Coen pour explorer de nouveaux sentiers jamais empruntés (avec, en prime, l’une des plus curieuses romances jamais vues au cinéma, entre une policière difforme et un suspect, racontée avec sincérité et une bonne dose de décalage).

Ce deuxième film, resté assez confidentiel malgré un vrai succès d’estime, prouvait qu’Abbasi avait la trempe d’un grand cinéaste, aux obsessions encore trop marginales pour un public cannois encore trop éloigné de ces vertiges délirants.

Quatre ans plus tard, surprise : Ali Abbasi fait son retour dans les salles obscures du Palais des festivals, par la grande porte cette fois : Holy Spider est sélectionné en compétition officielle. Le cinéaste d’origine iranienne, installé au Danemark et travaillant en Suède, reste fidèle à ses préoccupations, avec un décor radicalement différent.

Ce que l’Iran ne veut pas que l’on voie

De sa terre d’adoption au nord de l’Europe, il prend le large et revient à sa terre de naissance, en se glissant dans un genre typiquement occidental et depuis longtemps passé de mode : le film de tueur en série. L’histoire, inspirée d’une série de faits divers réels, se passe à Mashhad, lieu de pèlerinage au nord-est de l’Iran.

À l’aube du troisième millénaire, un tueur en série surnommé «le tueur à l’araignée» sévit dans les rues de la ville sainte, prenant pour cible des prostituées. Impuissante, la police doit maintenant traiter avec Rahimi (Zar Amir Ebrahimi), une journaliste de Téhéran de retour à Mashhad, sa ville d’origine, pour couvrir l’enquête.

Le réalisateur a été marqué par les faits qui ont défrayé la chronique entre 2000 et 2001, à l’époque où il était étudiant à Téhéran. S’il replace son film dans l’époque, ce n’est pas seulement par souci du détail : dans son troisième acte, Holy Spider s’ouvre à un discours qui ne peut que résonner avec notre époque.

Bien que tourné en Iran et en langue persane, le film est une coproduction 100 % européenne, et pour cause : ce qu’Ali Abbasi montre, c’est ce que l’Iran ne veut pas que l’on voie. Dans une introduction provocatrice, un homme rythme ses ébats avec une prostituée en lançant des phrases indécentes, tandis que le bruit est couvert par un flash info, à la télévision, annonçant que deux avions se sont écrasés dans les tours du World Trade Center à New York.

Entre le sérieux et le grotesque

Le long métrage oscille, pour ses deux premiers tiers, entre le sérieux et le grotesque (notamment avec un meurtre pour le moins compliqué, puis une séquence où le tueur dissimule tant bien que mal sa victime pour la cacher de sa femme, rentrée plus tôt à la maison), dans un récit absolument brillant que la mise en scène, sobre mais maîtrisée, laisse constamment s’exprimer.

Mais Ali Abbasi n’attend pas pour entrer dans le vif du sujet : Rahimi, fraîchement arrivée à Mashhad, ne peut aller dans la chambre d’hôtel qu’elle avait réservée; une femme non mariée à l’hôtel, ce n’est pas convenable, surtout quand celle-ci ne couvre pas entièrement ses cheveux.

La journaliste avait déjà fait les frais du sexisme de la société à Téhéran, elle vivra la même chose en pire à Mashhad : le commissaire de police lui-même semble plus occupé à ralentir l’enquête jugée «dangereuse» de la journaliste qu’à stopper le tueur. Le cinéaste ne laisse d’ailleurs pas de doutes sur ce dernier et révèle son identité dès le début du film, pour garder précieusement ses motivations.

Une féroce dénonciation

Quand celles-ci éclatent, dans le dernier tiers, Abbasi attrape le spectateur dans sa toile : sa description d’une société qui met au ban les femmes et qui, par extension, crée des meurtriers, est motivée par l’histoire récente de l’extrémisme religieux, qui a fait son retour en Iran à cette époque. Le monstre que l’on a suivi pendant 90 minutes est désormais érigé en héros par toute une partie du pays, dont sa famille, à qui il avait consciencieusement caché ses crimes.

On ne rit plus : Holy Spider prend une ampleur folle dans sa dernière partie, dénonçant férocement la corruption, et se conclut par une séquence lourde de sens, qui nous fait sortir de la salle le cerveau retourné. Ali Abbasi a pris le temps de porter ce projet depuis six ans : il se révèle être son chef-d’œuvre.

Holy Spider,
d’Ali Abbasi.

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