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[Critique ciné] David Copperfield revu, corrigé et amélioré


Dev Patel insuffle à son personnage un optimisme à toute épreuve, qui se traduit dans une mise en scène poétique et élégante, loin du réalisme désolé du livre de Dickens. (Photo : DR)

Après The Death of Stalin, le satiriste britannique Armando Iannucci met de côté la politique pour adapter un monument de la littérature victorienne qu’il réactualise avec ambition. The Personal History of David Copperfield, c’est la comédie britannique dans ce qu’elle a de plus brillant.

C’est un conte intemporel, donc moderne; une histoire d’apprentissage exemplaire. David Copperfield , souvent considéré comme le roman majeur de Charles Dickens, n’est toutefois pas le plus prisé de son auteur quand il s’agit de l’adapter à l’écran : sa dernière version cinématographique remonte à 1969 (on comptera notamment, depuis cette date, une dizaine de versions d’Oliver Twist et A Christmas Carol). C’est néanmoins le pari que s’est donné le satiriste, scénariste et réalisateur Armando Iannucci. Le roi britannique de la satire savoureusement grossière opère un virage à 180 degrés avec The Personal History of David Copperfield, adaptation à la fois fidèle et améliorée du chef-d’œuvre autobiographique du grand romancier de l’Angleterre victorienne.

Le projet a de quoi surprendre, et pourtant, la rencontre est bien plus naturelle qu’il n’y paraît. Armando Iannucci, qui a étudié la littérature anglaise à Oxford, connaît son Dickens sur le bout des doigts. De ce qui définit ce dernier, Iannucci a plus volontiers assimilé son sens de la satire et sa façon de rebondir sur l’actualité que le réalisme désolé de l’Angleterre qu’il décrit dans ses romans.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, longtemps avant d’adapter Dickens, Armando Iannucci s’est fait un nom à la télévision avec sa critique féroce du gouvernement britannique The Thick of It (2005-2012) et un «spinoff» sorti en salle, In the Loop (2009), où il plonge, sous la forme du faux documentaire, dans les eaux troubles des relations entre les hautes sphères politiques et la presse, avec une liberté de ton jamais vue auparavant.

Une décennie plus tard, après que le satiriste a transposé sa série dans une version américaine – Veep (2012-2019), dans lequel Julia-Louis Dreyfus tient le rôle de la vice-présidente des États-Unis – la comédie des erreurs de Iannucci est devenue, avec le Brexit et Trump, une comédie des terreurs plus vraie que nature. En ce sens, il est urgent de se replonger dans ces trois monuments d’humour aussi prescients qu’ils ont été rendus obsolètes par l’actualité politique.

Après le langage profane des hommes et femmes politiques qu’il a mis en scène par le passé – une figure de style encore utilisée dans son précédent film, The Death of Stalin (2017), farce délirante sur la guerre de pouvoir qui a suivi la mort du dictateur soviétique – Armando Iannucci montre dans son David Copperfield qu’il est tout aussi à l’aise dans une écriture raffinée. En 2012, dans un documentaire dédié à Dickens (Armando’s Tale of Charles Dickens), Iannucci décrivait l’écrivain comme « le meilleur comique que (la Grande-Bretagne) ait jamais eue », et l’écriture de The Personal History of David Copperfield vaut tant pour l’hommage qu’elle rend à l’auteur d’origine que pour son ouverture à des formes de comédie bien éloignées de celle que Iannucci n’a cessé de perfectionner depuis plus de quinze ans.

Quand le film, à l’inverse, s’éloigne de Dickens, c’est pour qu’il brille de lui-même et pour ce qu’il est, à l’image de son protagoniste qui, toute sa vie, doit lutter pour affirmer son identité (David est successivement appelé Trotwood, Daisy ou encore Doady, sans parler des noms qu’il adopte d’après ses nombreux parents de substitution). La richesse formelle de The Personal History of David Copperfield n’a d’égale que son élégance, et Iannucci adopte une mise en scène poétique visuellement bluffante – qui fait écho à l’optimisme de son personnage principal – en lieu et place de la description réaliste que fait Dickens du Londres prolétaire de la révolution industrielle. Et si le film n’est pas aussi solaire qu’on l’imagine, son cahier des charges permet au réalisateur de convoquer dans l’image quelques illustres exemples de la comédie britannique qui se distingue par son inventivité, de Charlie Chaplin aux Monty Python.

Un récit quasi autobiographique

Dans ce récit formateur quasi autobiographique, le protagoniste et narrateur rencontre de nombreux personnages qui l’éduquent et l’accompagnent vers l’âge adulte, dans la poursuite de son rêve d’écrivain, et c’est dans cette optique que le casting se doit d’être le moteur du film. Adapter un auteur aussi prestigieux que Dickens avec une troupe d’inconnus serait blasphématoire; la version de 1969 de David Copperfield était déjà une véritable vitrine de noms prestigieux, de Richard Attenborough à Laurence Olivier. Armando Iannucci ne déroge pas à la règle avec le parti pris remarquablement moderne de faire un film «aveugle à la couleur» (des acteurs de couleur jouent les parents d’acteurs blancs et inversement, sans que jamais cela ne soit un ressort comique), avec un David Copperfield qui prend les traits de Dev Patel, ici dans l’un des plus grands rôles de sa brillante carrière.

Les autres performances, toutes exceptionnelles, sont dues notamment à une Tilda Swinton survoltée qui a la phobie des ânes, Hugh Laurie et Peter Capaldi, tous deux magnifiques d’excentricité et de naïveté, un Benedict Wong hilarant en vieil homme d’affaires porté sur la bouteille et un Ben Whishaw voûté, servile et répugnant, qui rappelle les moments les plus inquiétants d’Anthony Perkins dans Psycho . À tout point de vue, ce David Copperfield est le projet le plus ambitieux de son auteur; c’est le meilleur film britannique de l’année, et il promet à Armando Iannucci un avenir encore plus radieux, comme le roman a permis à Charles Dickens de toujours se surpasser, par la suite, dans son art.

Valentin Maniglia

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