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[Critique ciné] Dark Night, un mauvais rêve américain


Le réalisateur Tim Sutton voulait clairement évoquer le cauchemar d'une nation américaine en quête de sens. À la place, c'est le spectateur qui s'interroge, et sombre dans un mauvais rêve. (photo DR)

C’était l’un des films attendus du Luxembourg City Film Festival : « Dark Night », de Tim Sutton (déjà auteur des drames « Pavillon » en 2012 et « Memphis » l’année suivante), propose, cinq ans plus tard et comme le suggère le titre, de revenir sur le massacre d’Aurora (Colorado).

Un soir de juillet 2012, lors d’une séance de The Dark Knight, James Holmes, 27 ans, tirait sur les spectateurs, faisant 12 morts et quelque 70 blessés. Une énième tuerie – dans une Amérique toujours en délicatesse avec sa politique de gestion des armes à feu – qui rappelle un autre long métrage, Elephant. Palme d’or à Cannes en 2003, le film s’attachait à une autre tragédie, celle du lycée Columbine. Pourtant, s’il fallait trouver une référence chez Gus Van Sant, ce serait plutôt Last Days (2005), ode étrange à Kurt Cobain qui passe son temps à marmonner et à traîner des pieds.

Point commun de ses films : filmer l’ennui, propice à des élans poétiques et à une tension commune, puisque dans les deux cas ça se termine dans le sang… Le réalisateur américain a donc préféré, comme son éminent homologue, ne pas sombrer dans le pathos du fait divers, et même de le réduire à sa plus simple expression. Non, ce qui l’intéresse, ce sont plutôt les causes, et ces questionnements qui reviennent à un rythme régulier aux États-Unis : comment un jeune garçon décide de tirer au hasard sur des innocents ? La sociologie devrait donc nous aiguiller, et voilà que Tim Sutton, sans donner la moindre réponse, filme au plus près cette jeunesse désœuvrée.

Au cœur d’un paysage de banlieue, on suit ainsi les errances de six personnages, dans leurs occupations quotidiennes. On y trouve notamment un adolescent qui préfère jouer aux jeux vidéo (violents) que de vivre sa vie à l’école, sous le regard à la fois bienveillant et désespéré de sa mère; un soldat revenu d’Irak et souffrant de stress post-traumatique qui essaie de renouer des liens avec sa famille; des skaters qui passent le temps sur leurs planches, et dont le vagabondage ramène à ceux filmés par Larry Clark; une jeune femme obsédée par son corps qui rame, au sens propre comme au figuré, pour devenir mannequin. Et même le futur tueur, dont les grands yeux d’un bleu profond ne cachent pas un certain déséquilibre psychique… Point commun de cette triste brochette : un sentiment de détresse et l’envie, malheureuse, d’aller voir le dernier Batman de Christopher Nolan sur grand écran.

Ainsi, durant une heure et demie, le cinéaste sort toute sa gamme d’effets : lumière feutrée, caméra ciblant particulièrement les regards, avec des plans très serrés, dialogues minimaux, sans oublier cette BO lancinante, puisque limitée à la chanson Just Another Dreamer, de Carodiaro. Très belle, mais plombante ! Ainsi, pour ceux qui, en raison d’un repas trop lourd, n’ont pas sombré dans un sommeil profond – les murs de la salle tremblent encore des ronflements – Dark Night apparaît comme un long marathon de souffrances et d’incompréhension. Certes, oui, on peut saluer l’auteur pour son approche esthétique et hypnotique, d’ailleurs déjà célébrée à Sundance en janvier et à la Mostra de Venise en septembre. Mais qu’on se le dise, filmer l’ennui, ou la fatalité, a quelque chose de contagieux, surtout quand l’ensemble a la forme d’un puzzle bancal, fait de multiples petites scènes. Tim Sutton voulait clairement évoquer le cauchemar d’une nation américaine en quête de sens. À la place, c’est le spectateur qui s’interroge, et sombre dans un mauvais rêve.

Grégory Cimatti

A la Cinémathèque, ce mercredi à 20h30 et à Utopia, jeudi à 21h

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