Le film évènement de Christopher Nolan pourrait bien sauver les salles de cinéma. Mais le mystère bien gardé autour de Tenet cache une aventure qui ne trouve d’intérêt que dans ses scènes d’action.
Après avoir vu sa sortie repoussée plusieurs fois, le onzième film de Christopher Nolan compte bien sauver les salles de cinéma. À raison : fort d’une promotion aussi désirée que mystérieuse, le film n’avait guère besoin de déployer plus d’efforts pour attirer toute l’attention sur lui. Et ce, sans compter sur l’armée de fans de Nolan –on en connaît tous un– à qui il suffit d’un simple teaser de quelques secondes pour s’armer de son smartphone et conjecturer sur des interprétations comme considérations métaphysiques de l’ère «geek» pour faire monter la sauce.
Le pire, c’est que ça marche. Et si l’on sort un court instant de l’émulation fanatique que Nolan déclenche à chaque nouveau film, force est de constater que Tenet promet le carton annoncé, avec un casting quatre étoiles mené par deux des acteurs les plus doués du moment (John David Washington et Robert Pattinson), une multitude de scènes d’action et des voyages, autour du monde et à travers le temps.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, notons une curiosité : il semble exister, sinon une rivalité, au moins une joute cinématographique entre Christopher Nolan et son compatriote Sam Mendes, tant leurs films les plus récents ont l’air de se répondre. Le tour de force du premier sur Dunkerque (2018) a été suivi, un an plus tard, de l’exercice de style (beaucoup moins réussi) du second sur 1917. Mais il est certain que Nolan, fan de James Bond devant l’éternel, fulmine encore de ne pas avoir été choisi pour diriger une aventure de l’agent secret au service de Sa Majesté malgré son statut de cinéaste le plus en vue du moment, alors que Mendes en a réalisé deux coup sur coup.
Nolan fait son James Bond
À bien des égards, Tenet est son James Bond. Histoire d’espionnage qui se déroule entre l’Estonie, l’Ukraine, l’Inde, la Grande-Bretagne, la Suède et l’Italie, le film offre son lot de destinations dépaysantes mises en valeur par le faste des décors de luxe dans lesquels évoluent les personnages. On y suit le Protagoniste (avec un P majuscule), incarné par John David Washington, agent secret envoyé en mission top secrète pour retrouver un oligarque russe qui fait dans la vente d’armes, Andrei Sator (Kenneth Branagh, affublé d’un accent à couper au couteau). Rapidement, le Protagoniste découvrira que Sator cache un secret : pour ses crimes, il utilise une technologie futuriste capable d’inverser le temps, qui pourrait déclencher, au mieux, une Troisième Guerre mondiale. Dans sa quête, le héros obtient de nombreuses aides, dont celle de Neil (Robert Pattinson), un agent britannique avec qui il scelle une amitié solide, ainsi que l’épouse et victime de Sator, la marchande d’art Kat (Elizabeth Debicki).
John David Washington, qui est de tous les plans pendant 2h30, obtient le deuxième rôle prestigieux au cinéma de sa jeune carrière, après le BlacKkKlansman de Spike Lee, et en retour, Tenet peut se targuer de l’avoir comme Protagoniste (on comprend toute la teneur du propos de Nolan, aussi insignifiant qu’il soit, mais il aurait pu quand même lui donner un nom). Impressionnant «action hero» doublé d’un charisme naturel et d’une barbe fournie comme jamais, Washington est épaulé par un Robert Pattinson éclatant et que l’on n’avait plus l’habitude de voir dans un blockbuster. Avec cette impression, tout au long du film, que la complicité des deux personnages est construite sur un jeu : celui, pour les acteurs, de construire son propre James Bond. Et face à un Washington très sérieux –le film est cruellement dépourvu de la moindre touche d’humour–, Pattinson régale avec une performance inattendue et presque aussi physique que celle de son camarade.
Le deuxième et dernier atout de Tenet, c’est la maestria avec laquelle sont dirigées les séquences d’action. Ici, elles sont nombreuses et remplissent à elles seules près de la moitié du film. On retiendra une double scène qui déroule, en montage parallèle, un avion-cargo s’écrasant contre un hangar tandis que quelques mètres plus loin, Washington et Pattinson s’adonnent à un casse. Ou encore une époustouflante scène de course-poursuite à plusieurs véhicules (dont un camion de pompiers), que l’on reverra une seconde fois quelques scènes plus loin… et inversée. Ou, enfin, une bataille finale que Nolan infuse avec l’essence de ce qui faisait la réussite de Dunkerque, en y ajoutant le grand concept de Tenet : l’inversion du temps, présente pendant tout le film mais jamais aussi intéressante qu’à ce moment.
Un concept bavard
Car il fallait bien que l’on arrive au grand concept de Tenet, qui tire son titre d’un énigmatique palindrome latin auquel il est fait souvent référence mais qui ne sert, au final, à rien ou presque. La plupart du temps, l’inversion du temps est là pour qu’un personnage secondaire –il suffit d’en piocher un au hasard dans la longue liste d’acteurs et actrices célèbres qui apparaissent moins de dix minutes– l’explique, à grands coups de pseudo-science bavarde et sans aucun intérêt pour les personnages. C’est aussi ça, un film de Christopher Nolan : se complaire dans l’explication alambiquée d’un concept pour en faire l’histoire. Avec, selon les films, des concepts qui vont de «pas intéressant» (Inception) à «suffisamment intéressant» (Interstellar), ce qui semble être assez pour le faire passer pour une sorte de Stephen Hawking du cinéma.
L’inversion du temps donne lieu à des moments à couper le souffle et le réalisateur a bien raison de ne pas se priver de les multiplier, mais le prix à payer est trop élevé. Pour une fois, heureusement, les effets spéciaux ne sont pas partout, ce qui est d’ailleurs très curieux. Mais la musique, elle, fait preuve de peu de goût. Dès la scène d’ouverture, qui se déroule dans un opéra, on nous sert le son de corne, insupportable leitmotiv de la filmographie de Nolan. De thèmes electro minimalistes en toccatas grandiloquentes et ultrasoutenues, on croirait entendre l’habituel Hans Zimmer, mais c’est le plus jeune Ludwig Göransson qui le remplace. Le Suédois oscarisé, ami de Zimmer, s’emploie à donner la meilleure imitation de son aîné (fait amusant : Zimmer a depuis signé, pour la première fois, la musique du prochain 007, No Time to Die) pour un exercice amusant pour un compositeur mais terrible à subir pour le spectateur.
Tenet s’inscrit dans la lignée des blockbusters complexés qui n’assument pas d’être des blockbusters et qui cherchent à être reconnus pour autre chose que la seule qu’ils font bien: offrir un spectacle véritablement haletant et qui justifie son succès. Alors, c’est sûr, les fans de Christopher Nolan, habitués aux mêmes simagrées, y trouveront leur compte. Les autres savent déjà que Tenet est le type de film dont on ne tire pas d’autre plaisir que celui d’aimer le détester.
Valentin Maniglia