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[Cinéma] «Viendra le feu» : coproduction luxembourgeoise dure mais magnifique


Amador Arias et Benedicta Sanchez donnent à Viendra le feu une force expressive et un réalisme rares dans un film de fiction (Photo : DR).

« Viendra le feu », la coproduction grand-ducale d’Oliver Laxe, prix Un certain regard au festival de Cannes, arrive en salle. Un film dur et difficile mais magnifique.

Il fait noir. Dans la forêt, la nuit, l’ambiance est fantasmagorique. La brume est là tout au long des travelings qui servent de prégénérique à Viendra le feu, un film du réalisateur Oliver Laxe, coproduit par Tarantula Luxembourg, en salle à partir de ce mercredi. Tout à coup des arbres de grande taille commencent à tomber. Tel un château de cartes, les troncs entraînent leurs voisins dans leur chute. Des images aussi surprenantes que splendides, mais qui laissent le spectateur perplexe. Et il ne sera pas davantage éclairé par la lumière aveuglante d’énormes engins de chantier qui détruisent ces plantes de grande taille telles des tondeuses qui coupent le gazon d’un jardin.

Pas d’animosité, mais une méfiance

Direction un bureau. «On va le laisser sortir», disent les personnes filmées. Il est clair que le réalisateur aime jouer du mystère. De quoi s’agit-il ? De qui parle-t-on ? On n’en saura rien. Générique. Un homme rentre chez lui. Tout de suite, les gens le regardent de travers. C’est évident qu’il s’est passé quelque chose et que l’homme sort de prison. Pas d’animosité, mais une méfiance claire existe entre l’homme, Amador, et les habitants de ce petit village perdu dans les montagnes. Même sa mère, Benedicta, ne semble pas ravie de le revoir. Elle dira le contraire quelques scènes plus tard.
La vieille dame et tous les habitants de la zone sont le miroir de la région, du village et des différentes demeures. Austères, pas du tout avenants. Ils parlent un dialecte pas toujours évident à comprendre, même pour les hispanophones. Ici le temps ne s’est pas arrêté au début du
XXe siècle, il y a des routes, des voitures, mais c’est tout comme.
On se chauffe grâce à la cuisinière, on se couvre et on fait face aux éléments, aussi bien quand on travaille à la ferme que quand on part faire paître les trois vaches qui représentent toute la richesse familiale ou ne serait-ce que quand on retrouve toute la communauté du coin lors d’un enterrement. Certes, il y a le voisin qui retape une vieille bâtisse dans l’idée de la proposer ensuite comme location touristique, mais c’est là le seul détail témoignant d’une certaine modernité.

Tant que la pluie domine, tout se passe bien

Les autres ne ratent pas cette dernière occasion de taquiner le revenant : «Tu n’entres pas te confesser ?», «T’as du feu ?», lui lancent-ils au visage. Petit à petit, les différentes pièces du puzzle se mettent en place. La vie s’écoule lentement, discrètement au rythme de la nature, des travaux de la terre, des saisons. Sans jamais rien dire de manière précise ni rien montrer de ce qu’on reproche à Amador, les non-dits font leur office. Tant que la pluie domine, tout se passe bien.
Mais quand la période sèche arrive et que les feux reprennent, les reproches, la méfiance, les haines vont resurgir à la surface. Peu importe la vérité, pour les villageois, l’important c’est de désigner un coupable tout trouvé! Un film aussi austère que les personnages et les décors qu’il montre. Mais un film poignant. On ne rit pas beaucoup, mais on est pris fortement par les personnages, les décors et les choix artistiques.
Coupable ou pas, peu importe : le spectateur ne peut que ressentir de l’empathie pour ce pauvre bougre d’Amador (dont le prénom peut se traduire par «amateur» ou «aimant»). Et on ne peut qu’être marqué par les gueules expressives de tous ces personnages qui sentent le vrai. Et puis, il y a les décors incroyables de cette Galice, les cadres choisis par Oliver Laxe pour la mettre en valeur, sans pour autant la transformer en destination de carte postale.
La photographie du film est fabuleuse, la pluie parfois, la brume souvent et puis ces flammes dont il est question dans le titre français du film, ces images incroyables d’incendies, etc. le réalisateur ne se facilite pas la tâche, au contraire. Régulièrement, on se croirait face à un tableau impressionniste. Et tel un Monet, c’est magnifique !

Pablo Chimienti

En salle à partir de mercredi

« S’est-il réconcilié avec le monde ou la nature ? « 

Le Franco-Espagnol Olivier Laxe parle de son film O que arde (Viendra le feu), à l’occasion de sa sortie. Extraits.

FEU
«La Galice est l’une des régions d’Europe les plus affectées par les incendies. Beaucoup sont causés par la foudre ou dus à des négligences diverses, mais dans la plupart des cas les incendies sont provoqués : c’est le feu qui échappe aux campagnards quand ils l’utilisent pour régénérer leur terre, le feu qui est utilisé comme arme de protestation politique, le feu qui requalifie la nature des terrains, celui qui procure chaque année à des politiciens de nouveaux contrats aux chiffres astronomiques (…)
Pour filmer le feu, il faut filmer avec du feu. On suit un entraînement physique et théorique de pompier. On tourne un premier été avec une équipe technique restreinte, sans acteurs, pour faire des essais et comprendre ce que le film exige. On ne sait pas si la pellicule (on tourne en Super 16) va se voiler à la chaleur, les objectifs fondre…. Si les pompiers vont nous laisser les accompagner. Quinze jours durant, on est à l’affût. On écoute sans cesse la radio : à la moindre alerte au feu, on suit les brigades, on filme. Petit à petit on gagne leur confiance et leur respect (…).
L’été suivant, on était prêt à répéter l’expérience mais avec nos acteurs, deux jeunes pompiers qui font leur baptême de feu, les voisins qui essaient de protéger leurs maisons face aux flammes… Mais 2018 a été l’un des étés les plus pluvieux de l’histoire de la Galice. Encore la nature qui impose ses règles.»

EUCALYPTUS
«L’eucalyptus est un arbre envahissant, considéré par certains Galiciens comme pernicieux et nuisible. Il assèche les terrains et croît au détriment des plantes indigènes.»

INTIME
«J’ai fait un film sur un homme dont on sait, dès la deuxième séquence, qu’il a été condamné pour avoir provoqué un incendie. Était-il coupable ? S’est-il réconcilié avec le monde ou la nature ? Est-il profondément récidiviste? Et s’il était en réalité innocent? On peut se poser toutes ces questions tout au long du film. Mais en partageant le quotidien d’Amador, de Benedicta et de leurs animaux, en affrontant les rigueurs du climat, en entendant ronronner le poêle alors que la pluie crépite sans discontinuer au-dessus de leurs têtes, on partage leur intimité.»

SEC
«J’ai voulu faire un mélodrame sec, de larmes contenues. En termes d’écriture, j’ai voulu déployer une psychologie ténue, réduite à l’os : cette âpreté émotionnelle des personnages est raccord avec l’austérité des décors. Ce sont des émotions endiguées, qui finissent par éclater avec le feu.»

RURALITÉ
«Viendra le feu montre les derniers vestiges d’un monde rural en voie de disparition. Cette séquence d’ouverture de l’eucalyptus et celle finale de l’incendie sont deux mêmes mouvements symphoniques incarnant une nature à l’agonie.»

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