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Cinéma : le retour de la «Blaxploitation»


Aujourd'hui, certains réalisateurs remettent en avant le style de la "blaxloitation", productions musclées où les héros règlent leur comptes avec une société raciste. (Illustration : DR)

Avec leurs grosses cylindrées, leurs vestes en fourrure et leurs feutres, les héros de la «blaxploitation» des années 70 tentent un come-back sur le grand écran, à travers une réinterprétation des classiques du genre. Analyse.

Vue par les uns comme une célébration de la culture afro-américaine donnant les rôles principaux aux Noirs plutôt que d’en faire des personnages secondaires, critiquée par d’autres comme un retour régressif à certains stéréotypes raciaux, la «blaxploitation» connaît un nouvel élan grâce à une jeune génération de réalisateurs qui veulent revisiter les classiques du genre comme The Mack ou Foxy Brown, entre autres.

L’an prochain, les adeptes peuvent ainsi espérer une nouvelle version de Shaft (1971) avec Samuel L. Jackson, tandis que Warner Bros. prévoit un remake de Dynamite Jones (1973) et que Foxy Brown (1974) devrait arriver sur le site de streaming Hulu. Superfly, remake du titre phare de la «blaxploitation» (1972), sera visible quant à lui sur les écrans américains à partir de demain. «Certains de mes films préférés sont des remakes», assure ainsi le réalisateur de clips devenu cinéaste Director X, Julien Christian Lutz de son nom de baptême.

«Scarface est un remake, Invasion of the Body Snatchers est un remake, alors je voulais avoir la possibilité de refaire un grand classique», a-t-il ajouté lors d’une conférence à Los Angeles. Sorti à l’été 1972 aux États-Unis, Superfly raconte l’histoire d’un trafiquant de drogue de Harlem, Youngblood Priest, (Ron O’Neal) qui essaie de faire un dernier gros coup avant de se mettre au vert.

Trevor Jackson, du sitcom d’ABC Grown-ish, reprend le rôle titre, tandis que Jason Mitchell (N.W.A – Straight Outta Compton, Mudbound) joue son acolyte Eddie. Director X réinterprète la trame originale au parfum des années 2000. Par exemple, les infidélités de Priest avec deux petites amies, qui se pensent chacune l’unique aimée, sont transformées en triade polyamoureuse consensuelle.

Atlanta, nouvelle place forte

Les drogues et les armes, qui tenaient une place importante de la version année 70, passent également au second plan. Le plus gros changement vient toutefois de transposition de Harlem à Atlanta. La capitale de Georgie (sud-est des États-Unis), forte de sa scène hip-hop et de ses crédits d’impôt pour le septième art, a été le lieu de tournage de nombreuses grosses machines hollywoodiennes récentes (Avengers : Infinity Wars, Guardians of the Galaxy 2…, sans oublier la série à succès Atlanta).

«Les clubs de Harlem étaient célèbres dans le monde. Même les trafiquants de drogue de Harlem étaient célèbres dans le monde. C’est ce qu’Atlanta est aujourd’hui», assure ainsi Director X. «Quand on raconte cette histoire pour notre époque, on la place au cœur de la culture noire américaine d’aujourd’hui», insiste-t-il. Director X a également confié au rappeur d’Atlanta Future le soin de concocter la bande originale, alors que l’originale, de Curtis Mayfield, avait connu un énorme succès.

Plusieurs stars de la scène hip-hop locale ont par ailleurs décroché de petits rôles dans le film, dont Big Bank Black ou Antwan «Big Boi» Patton du célèbre duo Outkast, lauréat de multiples Grammy Awards. «Nous voulions amener de l’authenticité à certains de nos rôles clés et c’est ce que des types comme Bank amènent, remarque Director X. Il est d’Atlanta et il connaît la vie locale.»

Les films de la «blaxploitation» ont donné une voix influente aux Afro-Américains à Hollywood, mais ont également pu être décriés comme glorifiant la criminalité et représentant une vision blanche de l’Amérique noire plutôt qu’un reflet réaliste, d’autant que peu des réalisateurs de ces œuvres étaient noirs. Souvent à petit budget et de faible qualité, ces films mettaient en scène des dealers de drogue, des proxénètes ou des détectives privés à la vie sexuelle débridée dans des intrigues téléguidées.

Les personnages féminins étaient souvent des prostituées et gardaient rarement leurs vêtements plus de cinq minutes. L’écrivain Michael Arceneaux s’interroge sur l’intérêt de revisiter ces films violents et misogynes, dans le magazine de culture afro-américaine The Root. «Quand je pense à la télévision et aux films noirs à présent – surtout à la télé – il y a tant d’exemples de narrations innovantes», fait-il valoir, déplorant le manque d’imagination qui pousse à ressortir des placards les vieux titres. «À l’heure d’Insecure, Queen Sugar ou Get Out, pourquoi aller forer dans les années 70 pour trouver des idées?», conclut-il avec justesse.

Quelques films majeurs

 

Shaft de Gordon Parks (1971)

John Shaft est un détective privé afro-américain qui travaille à Harlem. Solitaire, il ne fait confiance à personne. Un jour, il est engagé par un trafiquant de drogue dont la fille a été enlevée. Mais cela n’est que le point de départ de la guerre entre les deux mafias : celle des Blancs et celle des Noirs… Tiré du roman d’Ernest Tidyman (1970), Shaft est le premier héros noir du cinéma américain, mélange d’Humphrey Bogart et de James Bond. Avec une BO d’Isaac Hayes! Il a déjà fait l’objet d’une nouvelle version en 2000 avec Samuel L. Jackson dans le rôle phare.

Sweet Sweetback’s Badasssss song de Melvin Van Peebles (1971)

Sweetback est un jeune homme à l’œil glauque, dont le coup de rein plutôt suave (d’où son surnom) est aussi le gagne-pain. Un soir, deux flics blancs viennent le cueillir au claque où il officie. En chemin, ils arrêtent aussi un militant noir, qu’ils tabassent. L’œil de Sweetback s’allume lentement… Hautement politisé, le film dénonce le racisme en empruntant la forme du road-movie pur et dur.

Superfly de Gordon Parks Jr. (1972)

Priest, dealer charismatique, décide de conclure sa carrière par un dernier gros coup. Son plan est remis en question par la défaillance d’un passeur… Les compositions de Curtis Mayfield accompagnent un flambeur tout droit sorti des bas quartiers. Le «groove» triste – mais magnifique – du film restera dans les annales.

 

The Mack de Michael Campus (1973)

La vie et l’ascension de John Mickens, ex-dealer de drogue tout juste libéré de prison, qui va prospérer en tant que proxénète… The Mack contient sûrement le plus de dialogues qui ont été repris dans des disques de hip-hop (Jay-Z, Dr. Dre, Raekwon…). Tout comme le film, la BO, signée Willie Hutch, influence beaucoup d’artistes américains.

Foxy Brown de Jack Hill (1974)

Le petit ami de Foxy Brown, agent du FBI, est abattu sous ses yeux. Trahie par son propre frère, elle va chercher à se venger des trafiquants de drogue qui ont brisé sa vie, tout en luttant contre la corruption qui règne dans la ville… La très belle Pam Grier revient après Coffy – Foxy Brown était censé en être une suite sous le titre Burn, Coffy, Burn. Celle qui a inspiré Tarantino pour Jacky Brown doit faire le travail que ni la police ni la justice ne font : mettre les truands hors d’état de nuire. Sur fond de musique signée Willie Hutch (encore lui!).

Le Quotidien

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