La cinéaste de Polisse (2011) et Mon roi (2015) fait avec ADN son film le plus personnel : une quête des origines, qui ne met pas longtemps à se transformer en un absurde délire ethnique qu’elle pousse jusqu’au bout.
On pourrait réduire ADN à deux éléments qui en contiennent toute l’essence : d’abord, son affiche, où la réalisatrice-scénariste-productrice-actrice Maïwenn est au centre de la photo, entourée par un groupe de manifestants du Hirak, le mouvement de protestation qui existe depuis 2019 en Algérie, en s’opposant d’abord au maintien au pouvoir de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, puis, plus généralement, à la corruption au sein du gouvernement algérien. L’image trône en grand sur les devantures des cinémas : Maïwenn y est souriante, lumineuse, quand la foule qui l’entoure est floue. Ensuite, une phrase, qui apparaît en toutes lettres sur l’écran de son ordinateur, et qui lancera les enjeux de la seconde moitié du film : «Cliquez ici pour découvrir votre appartenance ethnique.»
Rien de vraiment nouveau chez Maïwenn, dans son cinéma où la subtilité et le filigrane n’ont pas leur place. Ici, donc, l’histoire de Neige, une femme en proie à une crise d’identité, à la suite de la perte de son grand-père algérien, et qui lancera un voyage intérieur et cinématographique par, avec et à la gloire de Maïwenn. Une autofiction – terme narcissique par excellence – si vous préférez. À peu de chose près, on se retrouve devant une version filmée des interviews hallucinantes de Léa Seydoux, élève de la fameuse «école de la vie» et qui a revendiqué son attachement à l’île sénégalaise de Gorée, où vit sa mère. Pour rappel – et pour rire un peu –, l’actrice de La Vie d’Adèle racontait au magazine Paris Match, en 2013, que «dans le bus, quand une Africaine s’assoit près de moi, le tchouraï, le parfum de séduction dont elles s’aspergent, me fait décoller et me donne envie de manger du poulet yassa». Maïwenn, elle, donne sa propre version de l’illumination africaine : dans une rue de Paris, son personnage, Neige, croise la route d’un mariage musulman. C’est le son des youyous qui la transporte et lui fait légèrement lever la tête vers le ciel, les yeux fermés, dans une expression transcendée, sans doute par l’odeur des épices qu’elle imagine parvenir jusqu’à ses narines.
Alors oui, «ADN n’est pas un film sur l’Algérie», insiste Maïwenn. C’est vrai : c’est avant tout un film sur elle-même, déguisé en hommage à son grand-père et en la quête de ses origines. Dans sa première moitié, elle affronte le thème du deuil, galvaudé à souhait, qui passe par toutes les situations vues et revues, mais reste, il est vrai, sincère. Le grand-père (Omar Marwan) a plus de 90 ans, souffre de la maladie d’Alzheimer et s’effondre dans les premières minutes du film. Lui qui était «la colonne vertébrale» d’une famille profondément divisée est désormais parti, et les vieilles plaies qui n’ont pas cicatrisé sont toutes rouvertes. Mais en bonne justicière qui, à n’en pas douter, considère son film comme une «revanche sur la vie», Maïwenn zappe machinalement tous les personnages qui sont en conflit avec le sien : la mère, jouée par une Fanny Ardant détestable en mégère, les frères, le père… Seuls les personnages les plus lisses sont autorisés à accompagner l’héroïne jusqu’à son grand départ : sa sœur (Marine Vacth), avec qui elle était brouillée puis s’est réconciliée, dans des raisons jamais expliquées, et son ami (Louis Garrel), un petit rigolo qui arrive toujours à point pour détendre l’atmosphère.
Dans la seconde partie, donc, Neige – version francisée de Nedjma, «pour éviter la discrimination», précise-t-on – se met en quête de se ses «16,1% d’Afrique du Nord». Commence alors un festival de clichés destinés uniquement à intensifier les fantasmes et fétiches égoïstes de l’auteure, du thé à la menthe – servi et bu avec la manière – qui constitue son seul régime alimentaire, à la délivrance du passeport algérien, officialisée en arabe, histoire de faire planer un peu plus son héroïne dans son délire ethnique. C’est tout juste si elle ne se gratifie pas d’un «one, two, three, viva Maïwenn»… Mais, jamais à court de ressources quand il s’agit de se placer au cœur de l’image, elle fait mieux, en se rendant, dans les dernières minutes du film, dans son pays de cœur, sa «madeleine de Proust», comme elle l’appelle, et se filme, à l’iPhone, au milieu des manifestations anti-gouvernement, moins pour soutenir la cause que pour se montrer et avoir la fierté de dire : «J’y étais.» Sur le papier, une histoire de génétique; au final, une démonstration de gêne ethnique.
Artificiel de bout en bout, ADN utilise tous les poncifs que l’on pouvait attendre, explicités par la cinéaste elle-même dans différentes interviews : faire un «film personnel», «éviter le pathos», «dialoguer avec les morts»… Autant d’éléments qui ne veulent plus rien dire depuis longtemps, et qui finissent d’enterrer le jeu de la bourgeoisie qui se croit être le peuple. Et qui revendique ses inspirations : Sautet, Lelouch… On dit que l’important n’est pas de savoir d’où l’on vient mais où on va. Maïwenn ne sait ni l’un ni l’autre, et trouve un palliatif dans la seule chose qu’elle sait faire, au sens propre comme au figuré : du cinéma.
Valentin Maniglia