Il est 20 heures. Dans la nuit, à Hospital Roundabout, l’un des endroits habituellement les plus animés de la ville de Bamenda (ouest du Cameroun), quelques bars diffusent encore de la musique, attirant ses derniers clients de la journée.
« Nous respectons le couvre-feu, nous allons fermer bientôt! », prévient une serveuse, pour prévenir d’une ultime commande.
Bamenda, ville réputée frondeuse et épicentre de la grave crise qui secoue depuis fin 2016 la région anglophone du pays, est désormais synonyme de couvre-feu de 22 heures 05 heures. Et pour les populations, de psychose et peur des violences.
Les autorités ont imposé la mesure le 8 novembre, après le meurtre de trois gendarmes par des séparatistes présumés. Un autre gendarme a été tué depuis lors. Quatre bombes artisanales ont explosé – sans faire de victime – en début de semaine à Bamenda, dont l’une à Hospital Roundabout. C’est la troisième explosion du genre à ce carrefour ces derniers mois.
A mesure qu’approche l’heure fatidique des 22 heures, les bars se vident progressivement. Des taxis embarquent les derniers clients. En bord de rue, dans la fumée étouffante des braseros, vendeurs de poisson et de viande « braisée » s’activent pour écouler leurs marchandises. « Il faut faire vite et partir pour éviter des ennuis avec la police », prévient Viviane, devant ses poissons encore alignés sur les charbons ardents.
« Nous apprêtons moins de poisson maintenant. On commence tôt pour finir tôt, au trop tard à 21 heures 30 », explique la jeune femme, qui confie vivre « dans la peur parce qu’il y a l’insécurité ».
« Ne pas être interpellé »
En une année de crise, la situation sécuritaire s’est considérablement dégradée dans les villes des régions du Nord-ouest (dont Bamenda – environ 300.000 habitants – est la capitale) et du Sud-ouest, qui abritent la minorité anglophone du Cameroun (20% de la population).
Le quotidien des populations y est désormais rythmé par les violences, malgré l’omniprésence des forces de sécurité: incendies volontaires de commerces et d’écoles, arrestations, bombes artisanales, et, aujourd’hui, assassinats. Des leaders sécessionnistes en exil, à l’image du « camarade » Ayaba Cho Lucas, appellent désormais ouvertement au « combat » pour répondre « aux balles et au mépris de l’occupant », alors que « le monde reste silencieux ».
A Bafut, bastion séparatiste à une vingtaine de kilomètres de Bamenda, quatre chambres d’un dortoir de la Presbyterian school of science and technology, une école protestante, ont été incendiés mardi. C’est au niveau d’un poste de contrôle près de Bafut qu’a été abattu l’un des quatre militaires tués la semaine dernière.
A Bamenda, personne ou presque n’évoque leur sort. Mais nombreux sont les habitants qui dénoncent les « exactions » des forces de l’ordre.
« Ils (policiers et gendarmes) sont violents avec nous autres anglophones », s’offusque un quincaillier de la ville.
« Ils cassent les maisons pour arrêter les gens. Même quand tu n’as rien fait, on te traîne au poste que tu sois muni d’une carte d’identité ou pas », accuse-t-il. « Si tu paies, on te libère. Sinon, on te garde ». D’autres témoignages abondent dans le même sens.
Clarkson, un autre habitant, est venu commander rapidement quelques brochettes dans les échoppes de Hospital Roundabout. « Dès que je suis servi, je retourne vite à la maison pour ne pas être interpellé ».
Ici, la police « peut t’arrêter maintenant et écrire sur son procès-verbal que tu as été interpellé à minuit », accuse-t-il. « Je vis dans la peur, je me sens en insécurité parce que la police qui doit nous protéger nous agresse plutôt », s’enflamme-t-il.
Dans la journée, à Food Market, un grand marché de la ville, les moto-taxis ont les nerfs à vif. La présence de journalistes est vue avec méfiance, la vue d’une caméra suscite une immédiate hostilité. Selon les habitants, les arrestations sur simples dénonciations se sont multipliées dans la ville, exacerbant un peu plus la colère des populations.
Policiers et gendarmes multiplient points de contrôle et patrouilles pendant la nuit. De même que les descentes dans les quartiers supposés héberger des radicaux, avec leurs lots de perquisitions et d’arrestations.
Dans la ville, beaucoup semblent désormais adhérer au séparatisme, faisant craindre une intensification des actes de violences. « Il n’y a pas de réconciliation possible. Nous voulons la séparation », tranche ainsi un habitant.
Le Quotidien/ AFP