Costumes, vidéos, illustrations, récits interactifs… Le MOMA consacre une rétrospective qui retrace vingt ans de carrière solo de la chanteuse islandaise, au cœur de son monde étrange et singulier.
C’est à une des rétrospectives les plus singulières et sans doute les plus complexes que le vénérable Museum of Modern Art de New York s’est attaqué : comment faire entrer la musique, en l’occurrence la pop-electro de Björk, au musée? Car le MOMA, temple du «pop art» s’il en est, ambitionne non seulement d’illustrer la carrière largement expérimentale de la chanteuse islandaise, mais aussi d’offrir un précédent à d’autres musées en multipliant les supports, tout en prenant le visiteur par la main.
La rétrospective Björk qui s’est ouverte dimanche dernier propose une déambulation onirique sur deux étages à travers les huit albums solos de l’ancienne chanteuse des déjantés Sugarcubes. Chaque visiteur a ainsi droit à un casque audio qui débite un récit biographique imaginaire de Björk, censé mettre sa musique en exergue. Le narrateur, Antony, le chanteur au timbre chaud d’Antony and the Johnsons, incite à la réflexion à chaque tableau qui compose cette fresque écrite par le poète islandais Sjon. Au cœur de l’intrigue : une fillette née dans les sables noirs qui se lance dans la défense des plus faibles. Les carnets sur lesquels Björk a couché ses pensées sont aussi de la partie. «Je ne me reconnais pas/ C’est très intéressant», note-t-elle sur une page – des paroles d’ailleurs ensuite reprises dans la chanson Headphones.
« Casser les règles »
Plus prosaïquement, l’exposition propose les tenues les plus extravagantes de Björk, comme la « robe-cygne » blanche qu’elle avait portée pour la remise des Oscars en 2001, ou des « instruments » utilisés par l’artiste, à l’instar de cette bobine Tesla, un transformateur électrique qui a fait son apparition dans l’album Biophilia en 2011. « Björk nous a demandé de repousser les limites de la technologie et du son, mais surtout de ce que nous pouvions faire dans le cadre d’une exposition », a expliqué Glenn Lowry, directeur du MOMA, quelques jours avant le vernissage. « Je pense que la seule règle à respecter était de casser les règles », a-t-il ajouté, qualifiant l’exposition de « compliquée, exaltante. »
« C’est l’un des projets les plus intéressants sur lesquels j’ai eu la chance de travailler ». S’il est difficile de priver Björk du titre d’artiste novatrice, les tenants d’une certaine orthodoxie en matière d’art visuel ne manqueront pas de s’interroger sur le bien-fondé de cette exposition qui accorde tant d’espace du prestigieux MOMA à une musicienne âgée de 49 ans. D’autant que la rétrospective tourne parfois à l’hagiographie. Les photographies, et même les mannequins à l’effigie de la star sont omniprésents.
Lors de la présentation à la presse Björk, qui a travaillé plusieurs années sur l’exposition, est apparue furtivement et s’est contentée de remercier le musée avant la projection du clip de sa chanson Black Lake. Le titre est tiré de Vulnicura, le dernier album de la chanteuse, celui de sa rupture avec son compagnon Matthew Barney, un artiste contemporain à la renommée internationale dont plusieurs œuvres font partie de la collection… du MOMA.
Mais pour prouver que son travail n’est pas figé, Björk va accompagner l’ouverture de l’exposition qui lui est consacrée de plusieurs concerts intimistes à et autour de New York, avec une première date prévue au célèbre Carnegie Hall. Klaus Biesenbach, l’un des responsables du MOMA, raconte que Björk lui a demandé, pour préparer l’exposition, de la considérer comme une « musicienne, une chanteuse et une compositrice ». « Est-ce que le MOMA peut créer une exposition dans laquelle la musique constitue une véritable expérience, comme la peinture en est une ? » Et Klaus Biesenbach d’espérer que cette rétrospective ne restera pas un événement éphémère, mais bel et bien un « instrument » qui pourra, à plus long terme, servir de modèle à de futures expositions.
AFP