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BD – « Les Heures noires », dans la folie de l’Afrique (Interview)


C’est un roman graphique à la fois sombre et lumineux que proposent Remise et Tillon dans « Les Heures noires ». Un album à l’image du continent africain.

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> Votre album « Les Heures noires » vient de paraître à La Boîte à bulles, mais si on suit bien toute l’histoire, on est là devant ce qui devait être le deuxième volume de votre Trilogie des ventres creux, dont le premier tome, Les Mèches courtes, est sorti en 2010, avec toujours Gaël Remise au dessin, mais à Vertige Graphic. Expliquez-nous ça.

Fabien Tillon : Oui, c’est un projet qui compte, a priori, trois albums. Nous avons commencé avec Vertige Graphic, qui entre-temps a connu quelques problèmes. Nous avons donc continué avec La Boîte à bulles en espérant faire aussi le troisième tome un jour. L’idée est d’avoir trois albums indépendants mais qui se répondent et offrent des briques de compréhension d’une vision globale de certains dangers et de certaines réalités politiques contemporaines.

Dans le premier tome, il s’agissait d’observer, à travers l’Amérique latine, la question de la misère accentuée aujourd’hui par des politiques étatiques qui laissent tomber une grande partie de la population. Dans Les Heures noires, l’idée est de voir la situation postcoloniale extrêmement agitée et pourrie par l’idéologie totalitaire d’inspiration religieuse en Afrique. Et le troisième temps doit se dérouler en Europe, et regarder notre situation à travers une tentative de grève dans une usine de la part d’ouvriers qui essayent de garder leur travail menacé par une revente financière.

> Mais l’idée de la trilogie n’apparaît nulle part dans cet album.

C’est vrai. On hésitait à reprendre l’idée de la trilogie, car l’histoire existe par elle-même. Mais on va voir comment ça se passe. Je ne vous cache pas que j’aimerais voir publier le troisième tome, à la fois un tome de conclusion et de perspective, qui permet de poser un certain nombre de propositions politiques. Un tome aussi d’espoir après deux tomes plutôt pessimistes.

> Ces Heures noires emmènent le lecteur au Kariwaï. Pourquoi un pays imaginaire et de quels pays réels vous êtes-vous inspiré ?

Je connais assez bien l’Afrique noire pour y avoir vécu. Je voulais, dans le cadre de la trilogie, parler de l’Afrique noire, de la décolonisation, de culture et de la diaspora noire. Et aussi de religion et de racisme. Je voulais faire ça dans une sorte de synthèse de plusieurs pays, pour ne pas avoir à délaisser des aspects intéressants de l’un ou de l’autre. Il y a donc un peu de Mali, aussi bien dans les paysages que dans une partie des problématiques. Il y a beaucoup d’Ouganda, puisque l’Armée de résistance du Seigneur, une guérilla d’inspiration chrétienne comme dans notre histoire, composée essentiellement d’enfants enlevés, existe vraiment là-bas depuis 1988 et a réalisé de véritables carnage.

Je me suis aussi inspiré d’autres pays comme le Zimbabwe qui a été un modèle de développement postcolonial d’inspiration socialiste dans les années 60-70, avec des perspectives fascinantes pour le renouveau africain, mais qui a été totalement gâché par la folie du pouvoir.

> Pour raconter l’opposition entre un président corrompu et narcissique et un chef de rébellion aussi mystique que sans pitié, vous prenez une petite équipe de médecins d’une ONG et une journaliste américaine. Est-ce pour entraîner le lecteur européen, principalement blanc, à l’intérieur de ces problématiques de l’Afrique noire ?

En fait, ces personnages sont tous directement inspirés de personnages que j’ai vraiment connus. Après, ils représentent quatre facettes différentes de la diaspora africaine. Et puis, comme vous dites, il y a l’idée d’intégrer dans cette réflexion le lecteur lambda, européen et blanc.

> C’est un récit très sombre, fait de trahisons, de violences, de massacres… mais il rend aussi un hommage à la beauté du continent.

Absolument. Il est vrai que le bouquin n’est pas très gai, mais la réalité africaine est difficile : le continent est entraîné dans tout un tas de guerres de religion, d’ethnies, etc. Le carnage continue là-bas, sans même compter les maladies et la famine. Cela dit, j’ai voulu rééquilibrer ce côté sombre par de l’humour et une certaine légèreté…

> Et par un dessin un peu naïf aussi…

Oui, absolument, le dessin de Gaël Remise compte aussi beaucoup. L’aquarelle allège le propos, met du soleil, de la beauté et de la sensualité dans le paysage. C’est un dessin qui permet de ne pas être dans un approfondissement de l’horreur. Mais il y a aussi de l’humour et des sentiments entre les gens, car c’est aussi ça la réalité !

> Est-ce que quelque part votre récit n’a pas été rattrapé par l’histoire, entre ce qui s’est passé à Charlie Hebdo, le massacre récent de 2 000 personnes par Boko Haram au Nigeria et les événements en Syrie et en Irak avec Daech ?

Oui, ce qui est terrible, c’est que quand on décrit le pire en fiction, la réalité le rattrape souvent. On a joué d’un hasard stupéfiant, car le livre est sorti pile le jour de l’attentat contre Charlie Hebdo. Autant vous dire que personne ne s’est vraiment occupé de cette sortie tellement on était tous sous le choc.

L’actualité de l’Afrique nous a aussi rattrapés effectivement, mais précisément, les livres servent à arrêter le temps, à ne pas être sans arrêt dans l’émotion, pour pouvoir penser. Cet album dit clairement que l’islam n’est pas notre ennemi. Et que le terrorisme international n’est pas uniquement d’inspiration islamique. Le problème réside dans le déséquilibre profond du monde contemporain et dans la misère terrible dans laquelle on laisse une énorme partie de la population terrestre.

Entretien avec notre journaliste Pablo Chimienti

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