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BD – La mine affûtée de François Boucq


Le dessinateur et scénariste François Boucq, militant du grotesque pour « réveiller la vue ».

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Pour cet homme calme, mais cinquième dan de Kendo, le dessin et la caricature sont des sports de combat. (Photos : AFP/DR)

Impossible de ne pas reconnaître ses personnages aux traits exagérés et aux couleurs dérangeantes, dans leur quotidien absurde : François Boucq, un des grands de la BD française, déforme le réel pour mieux le révéler et combat la BD « aseptisée ». Le père de l’agent d’assurance Jérôme Moucherot, pour qui la vie est une jungle peuplée d’animaux, a démarré dans Pilote vers 1975 et continué avec Fluide Glacial. D’abord inspiré par Gotlib, Alexis et Daniel Goosens, il a depuis varié son style mais sa patte reste toujours reconnaissable.

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« Je viens d’un milieu très populaire à Lille, avec tout un monde ouvrier, marqué de bagarres au bistrot le dimanche soir. Ils pouvaient vraiment ressembler à des monstres. J’ai commencé à dessiner ce que je voyais », raconte-t-il. « Le rôle du caricaturiste est de réveiller la vue, de faire sauter les faux-semblants, explique-t-il avec douceur. On a toujours envie de ne pas voir l’autre tel qu’il est, alors que si on aborde la réalité en face, on a un rapport plus fort avec lui, moins aseptisé par des conventions sociales. »

Sous des titres un peu « houellebecquiens »– Les Pionniers de l’aventure humaine, La Dérisoire effervescence des comprimés – Boucq raconte l’absurdité du quotidien. Et il vit ses partis pris comme un combat. « J’ai démarré dans Pilote. C’était une période particulière, un peu après Charlie Hebdo, dans la queue de comète de 68. Tout commençait à se libérer, on arrivait avec la vigueur de mettre à mal la censure et grâce à ces pionniers, le pouvoir de le faire. Il y a moins aujourd’hui cette nécessité de combattre, qui était un argument créatif. On va chercher une expression plus simple, moins corrosive. On parle de la vie quotidienne, des couples… »

« Or, pour un dessinateur, il y a une jouissance à faire un dessin provocateur. Un dessin d’humour est moins une réponse qu’une interrogation : est-ce que ce qu’on vous dit est vrai ? J’ai dessiné par exemple une vieille Bretonne endormie devant son fourneau, à laquelle le patron du restaurant donne un coup de casserole… C’était jouissif de braver un interdit, car on ne doit pas frapper avec une gamelle une vieille Bretonne ! », s’amuse-t-il.

> « Pour être vivant, un trait doit être habité »

Pour cet homme calme, mais cinquième dan de Kendo, le dessin et la caricature sont des sports de combat, un mot qu’il emploie souvent, surtout quand il parle de Charlie Hebdo. La liberté de ton volontariste des années 70 insufflait une force exceptionnelle au dessin, explique-t-il.

« Les dessinateurs de cette époque avaient une grande exigence graphique. Pour être vivant, un trait doit être habité. L’envie de convaincre, de provoquer fait vibrer le trait d’une manière différente, poursuit-il. Nous cherchions à faire en sorte que la réalité se voie. Quand Reiser dessinait, il voulait faire croire, en quelques traits, qu’on pouvait trouver ses personnages au coin de la rue, comme Cabu, qui m’avait proposé de travailler à Charlie Hebdo. »

« Énormément de dessinateurs aujourd’hui ont le même type de graphisme, poursuit-il. Nous recherchions au contraire la particularité. Ceux qui gardent cet esprit sont surtout les dessinateurs très réalistes, comme Ralph Meyer (NDLR : auteur de la série Ian) ou Benoît Springer. » « Dans une caricature, quand on déforme les traits d’un individu, avec un nez plus grand ou des oreilles plus larges, on reconnaît quand même le personnage. La ressemblance va au-delà des formes. Un caricaturiste saisit la spécificité de la personne, sa véracité. »

À noter que François Boucq a présenté en compétition, le mois dernier à Angoulême, Little Tulip, album réalisé avec Jérôme Charyn et sorti en novembre chez Le Lombard. C’est avec lui qu’il avait obtenu le prix du meilleur album en 1986, pour La Femme du magicien.

Le Quotidien

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