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[Bande dessinée] «Toonzie» : le monde est «toon» !


Œuvre étrange et désinvolte, Toonzie voit son auteur, Xavier Bouyssou, s’imaginer en gourou d’un monde rêvé à la Roger Rabbit. É-«toon»-nant!

Rares sont ceux qui le savent, mais nous vivons tous avec un petit personnage au-dessus de nos têtes, sorte d’incarnation invisible de l’essence de notre être. Ce toon, véritable personnage de dessin animé, nous avons pu le voir à la naissance, seul moment véritablement vierge de notre vie, et nous le retrouvons à notre mort, et pour l’éternité. Seule une personne sur notre planète a le don de voir nos toons : le bien nommé Toonzie, prophète qui a vécu dans les deux mondes et dont la mort, dit-on, déclenchera chez les humains la révélation de leur toon. Un moment qui pourrait bientôt arriver, car, en 2069, Toonzie vit ses dernières heures dans sa luxueuse villa, entouré de ce qui reste de ses fidèles. Ce qui n’empêche pas un agent du fisc tenace de lui courir après, bien décidé à faire tomber la secte…

Dans son premier livre, Xavier Bouyssou met toutes ses passions et ses obsessions au service d’une histoire aussi délirante qu’elle est sombre. Le prélude voit Toonzie asséner une terrible révélation : «Les toons n’existent pas.» Son «numéro 2» s’effondre, c’est la fin d’un monde. Vingt ans et quelques pages plus tard, le gourou, mourant, n’a pourtant pas cessé d’y croire, et ses plus proches fidèles non plus. Ce qui n’est pas dit a autant – sinon plus – d’importance que ce qui est limpide, à l’image de ces toons joyeux et colorés que ne voient pas leurs alter ego humains, vieux, laids et tristes. L’aveu initial de Toonzie est-il le résultat d’une crise de foi ou est-ce le poids du mensonge qui lui était devenu insoutenable? Qu’importe : dès le lendemain, la vie reprend, comme si de rien n’était.

Ce moment charnière semble néanmoins avoir eu un certain effet sur Toonzie et sa communauté : en entrant dans le cœur du récit, la secte ne possède plus le même lustre que lors de ses années de gloire, vingt ans auparavant. La somptueuse villa de San Bernardino, en «Coolifornie» – à l’entrée de laquelle trône cette immense et curieuse statue du maître, nu, tenant un enfant par la main –, est leur dernière possession. L’univers a beau être grotesque, on ressent surtout les effets de la mélancolie ambiante, qui nous fait nous demander ce qui, au juste, est censé faire rire. L’humour est présent partout (dans les dialogues, les dessins, les situations) et, en même temps, rien n’est jamais totalement drôle.

Les personnages ont tous des physiques de monstres (quand ils ne sont pas affublés d’étranges accents ou défauts de prononciation) et malgré les histoires noires autour du passé de la secte, personne ici n’est dangereux pour un sou. Ce récit confiné dans l’immensité d’une villa dont on n’utilise plus que quelques pièces se déploie alors comme une longue et étrange veillée funèbre, qui avance vers un nihilisme inéluctable. La mort par suicide, en direct à la télévision, du dernier président humain des «Néo-U.S.A.», Elon Musk, à 99 ans, laisse la place à un ordinateur central qui se chargera de gouverner le pays. Il ne reste plus qu’à espérer, pour les croyants, que la «grande révélation» promise par Toonzie lorsque son heure viendra est vraie…

Le plus curieux, dans cet étrange objet, est que Toonzie n’est autre que l’auteur en personne. Le livre nous informe que le personnage, né Xavier Bouyssou et dessinateur de BD de profession, a changé de vie après avoir été choisi par le «Grand Toon», une entité supérieure qui l’a transformé en «toon», puis envoyé vivre pendant 2 400 ans sur Toon World, avant de le renvoyer sur Terre, dans sa forme humaine originelle, pour prêcher la bonne parole. Derrière la fascination manifeste que l’auteur a pour Raël (dont Toonzie, physiquement, est un double) et l’univers kitsch qui se rapporte au gourou, il y a aussi l’exercice intéressant de s’imaginer en vieillard réfléchissant à sa vie, et jetant ici et là des souvenirs poignants et forcément autobiographiques, ravivés par la vision d’un épisode de Prison Break (la série que Toonzie regarde à longueur de journée). On le surprend à réfléchir à la précarité du métier d’auteur de BD comme on le voit insérer furtivement – mais de façon remarquée – des références aux avancées technologiques, au réchauffement climatique, à la toute-puissance capitaliste…

Avec inventivité et désinvolture, Xavier Bouyssou signe avec Toonzie l’une des BD les plus inattendues de l’année. Venant des milieux du fanzine et de l’autoédition, il multiplie tout au long de ces 300 pages les formats, les styles de narration et les points de vue, sans jamais perdre le fil de sa pensée et, surtout, en parvenant toujours à décontenancer le lecteur, l’amenant là où il s’y attend le moins. Quelque part entre Roger Rabbit, Riad Sattouf, Picsou Magazine et The Simpsons se trouve Toonzie. Gloire à son «toon»!

Toonzie, de Xavier Bouyssou. 
Éditions 2024.

Je vois ton toon. Mais tu sais que je ne peux pas te le révéler. C’est la règle!

L’histoire

Toonzie va bientôt mourir. Dans sa luxueuse villa de San Bernardino, Coolifornie, seule une poignée de fidèles entourent encore le gourou déclinant. La mort de leur prophète sera un déchirement, mais aussi une célébration, car l’humanité tout entière sera alors «toonzifiée» : chacun pourra découvrir son propre Toon et vivre en harmonie avec lui, prouvant au monde que Toonzie avait raison. Pour que la prophétie se réalise, Toonzie doit mourir en paix. Alors que ses derniers disciples essaient d’adoucir la lente agonie du vieil homme, l’agent du fisc Adam Miller, lui, est bien décidé à faire de ses derniers jours un enfer…

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