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Art public : l’art de l’éphémère


Dans la Temporary Autonomous Zone (TAZ, 2015) du collectif Todo por la Praxis. (Photo : Eric Chenal)

Pendant les vacances de Pâques, Le Quotidien s’est interrogé sur l’art public à travers une série rédigée par des spécialistes choisis par l’Association des artistes plasticiens du Luxembourg. Ce week-end, et pour conclure, voici «L’art dans l’espace public, autour de l’éphémère» par Marie-Anne Lorgé, chef de rubrique Culture au Jeudi.

Il est un art qui s’inscrit non dans la durée mais dans l’instant, l’expérience et le processus. Il fane, tombe en poussière, bref, il disparaît. De l’art de la fragilité, donc, mais pas de l’artiste. S’il y a bien un art qui veut sortir du musée, c’est l’art éphémère… qui finit (parfois) par y revenir de façon indirecte, ne fût-ce que par la trace pérenne qu’est la photographie ou la vidéo.

Mais l’éphémère, c’est quoi? C’est un acte artistique qui, installé au cœur de l’existence humaine, en a la fugacité. La manifestation la plus palpable de l’instantanéité, c’est la performance qui met en jeu le corps, le temps et l’espace. À défaut d’être documentée, la performance, par essence, ne dure que le temps de sa réalisation – c’était d’ailleurs tout l’enjeu de «Lost Art», une «night show» perpétrée au Casino Luxembourg le 1er mars, où Flora Mar boutait le feu à un rideau en papier de cigarettes et où Trixi Weis éprouvait le temps avec du sable.

Parmi les variantes de l’éphémère, il y a l’installation. Qui est tout sauf un tableau délimité par un cadre : non seulement, elle en déborde, mais sa provocation ou sa résistance consiste à nier le support lui-même, composant plutôt avec les intempéries (dans le cas des graffitis) et surtout avec des matériaux périssables (végétaux, déchets, papiers) – à l’exemple du Couloir conçu par Claudia Passeri en 2013 pour le musée eschois de la Résistance, un tapis de pétales de forme hélicoïdale semblable à une structure d’ADN.

S’il adore le plein air, pour autant, l’éphémère – qu’il soit réalisé avec des éléments altérables ou non – a le talent de transformer le lieu (galerie) où il s’installe temporairement : le cas de figure, c’est l’œuvre in situ, liée à un cadre particulier en un temps déterminé et qui dès lors ne peut être déplacée sans être détruite. Ou, pour le moins, détournée – comme dans le cas d’Every Day a Revolution de Marco Godinho : des bouteilles installées en cercle, une par jour d’exposition et chaque jour fleurie par un œillet.

Parfois, l’installation sert de contexte, voire de prétexte comme s’il s’agissait d’un décor de théâtre où le/la plasticien(ne) se met en scène et performe – un genre où Sophie Jung excelle.

Point de marchandage

Faites pour disparaître, les œuvres éphémères «échapperaient à tout marchandage», selon Catherine de Zegher, directrice du musée des Beaux-Arts de Gand, ce qui sans doute caractérise leur insaisissable valeur ajoutée. Où se greffent des notions d’interaction et de participation. Sous cet angle, le temps coulant comme de l’eau, observons donc ce qui s’est passé sous les ponts.

Nous sommes en 2001. Année bénie de «Sous les ponts, le long de la rivière». Dix-huit interventions d’artistes transformaient le paysage urbain, selon un parcours qui, partant du Casino Luxembourg, passait par les vallées de la Pétrusse et de l’Alzette pour traverser les quartiers du Grund, de Pfaffenthal et de Clausen. L’opération a été renouvelée en 2005. Fédérant moult artistes internationaux, dont Fernando Sanchez Castillo, avec, coulée dans le bronze, la queue du cheval de Godefroy de Bouillon émergeant du lit de l’Alzette, ou Ilona Németh avec ses sept grosses boules rouges en polyester semées dans le vert billard de la rive, mais aussi de trop peu nombreux artistes luxembourgeois : Sophie Krier, et son architecture de bois, plate-forme propice aux rencontres, Jill Mercedes, et ses petits cœurs argentés jetés par-dessus le pont Adolphe, et Trixi Weis, et sa façon d’embarquer la poésie du quotidien.

On ne l’enferme pas, Trixi Weis, ni dans un genre ni entre des murs, elle qui invente des cartes-recettes pour snober les restos étoilés, qui rêve à bord de son Petit Navire ou qui enlumine les bancs publics avec de dorées couvertures de survie. «Je n’ai jamais été pressée d’exposer en galerie et l’art environnemental, qui s’adresse à tout le monde, s’est imposé à moi en 1997, quand j’ai retrouvé ma ville, inspirée par le paysage luxembourgeois rural et urbain.»

Lors de la seconde édition de «Sous les ponts, le long de la rivière», elle a cultivé son jardin… de fleurs et d’arômes, puis, à bord d’une roulotte, elle a transformé le fruit de ses cueillettes en un coloré florilège de confiseries et de boissons, proposées en dégustation à tous les promeneurs. Quand la nature fait le plein des sens…

Puis, ce public champ de tous les possibles s’est tu. Exception faite, toutefois, des actions participatives que Jerry Frantz réactive épisodiquement autour de sa vraie fausse République de Clairefontaine. Exception faite aussi de certaines propositions artistiques nées dans le cadre de «Project Room», programme de résidences d’artistes initié par le Casino Luxembourg, dont l’emblématique TAZ (Temporary Autonomous Zone) du collectif espagnol Todo por la Praxis : une structure éphémère bâtie sur trois étages, dévolue aux initiatives culturelles ou sociales, accessible à/par tous et régie par les principes du partage communautaire, y compris pour le jardin du dernier étage. L’Éden à hauteur d’hommes.

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