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[Album de la semaine] Voyage dans l’inconnu


On ne saura jamais s'ils jouent un rôle, tant Arielle Dombasle et Nicolas Ker sont naturels dans leurs postures romanesques. (Photo : DR)

La collaboration qui unit le crooner post-punk Nicolas Ker et l’icône extraterrestre Arielle Dombasle ne saurait être autre qu’excessive et déroutante.

Depuis la première étape de leur aventure artistique, l’album La Rivière Atlantique (2016), il y a eu un phénomène indescriptible intitulé Alien Crystal Palace (2018). Un film dont la vraie place est dans un musée. Un objet d’art contemporain dans ce que l’art contemporain a de meilleur : fou, incompréhensible, étrange, totalement libre, bref, de l’art pour l’art. Le long métrage, bien sûr, est signé Arielle Dombasle, avec, à ses côtés devant la caméra, Nicolas Ker. Lui en Serge Gainsbourg qui marmonne, semble-t-il, des phrases, elle en Jane Birkin ascendant David Lynch.

Et leur retour, deux ans plus tard, ne pouvait se faire qu’en musique, avec Empire. Lui en Lee Hazlewood qui sent la clope froide, elle en Nancy Sinatra hallucinée. Dans leur second acte musical, le vrai faux couple d’artistes nous emmène dans son empire métaphysique moins ovni qu’il n’y paraît, mais non moins hanté par des esprits baroques. Il faut le dire, Arielle Dombasle et Nicolas Ker sont des entités dont on ne saura jamais si elles jouent un rôle, tant ils sont naturels dans leurs postures romanesques. Ils sont, en réalité, tout : prêtresse gothique et cantatrice possédée, éternel rockeur et sorcier désabusé. Leur entre-deux artistique est une zone grise où les repères de temps et d’espace fusionnent en un tout où tout est possible. Une projection instantanée de leurs âmes au centre de la création.

Entouré du même groupe de musiciens que sur La Rivière Atlantique, le duo ouvre les portes d’Empire : après une entrée en douceur sur les notes pop des deux premiers titres, on bascule de l’autre côté du miroir sur Desdemona, ambiance grunge-velours en toile de fond des cris sourds de l’un, des vocalises martiennes de l’autre. Elle est souvent cantatrice; après tout, c’est une diva, de celles qui donnent de la voix pour faire vivre leurs engagements humanitaires. The Drowning Ocean fait écho à la pollution des océans, cheval de bataille écolo taillé sur mesure pour une diva (souvenons-nous de la campagne #PickUpThePlastic sur Twitter, où elle apparaissait en sirène tandis que d’autres femmes à queue de poisson mouraient, au fond de l’océan, étouffées dans du plastique).

L’alchimie éclate à nouveau dans Lost Little Street Girl, écrit, paraît-il, pour la chatte de Nicolas Ker (on reste dans le romanesque). Le chanteur y est presque seul, nous sort un numéro à la Iggy Pop, soutenu, mezzo-voce, par la sirène Arielle. On est happé par la présence chamanique que dégage celui qui veut être le dernier des punks. Et le ping-pong continue avec A Simple Life, ballade d’un autre temps qui n’exige guère plus qu’un piano et le timbre insaisissable de la chanteuse.

Mais Empire brille encore plus quand les deux créatures célestes se livrent aux possibilités les plus excentriques. The Palace of the Virgin Queen, où ils rejouent Nancy & Lee sur la transe d’un rythme new wave, est l’un des sommets de l’album. Idem pour la ballade gothique et «cold wave» Deconstruction of the Bride, qui (le titre donne un indice) se déconstruit de lui-même, transformant ses motifs obsessionnels en un jeu dissonant et ses paroles cryptiques en un mantra répété sans fin. Avec ce titre, Nicolas et Arielle se métamorphosent en Nick Cave et Kylie Minogue «underground».

Il y a, forcément, une énergie sexuelle qui émane des créations du duo. Éthérée dans Le Grand Hôtel (le seul des douze titres qui soit chanté en français), elle décharge tout ce qu’elle a de plus brutal dans l’hymne ardent Enter the Black Light, climax de l’album. Puis c’est avec une dernière prière pour sauver les sirènes (We Bleed for the Ocean) que l’on atterrit de nouveau sur Terre, dans la simplicité dépouillée de la partie vocale aux airs de comptine. Le voyage «arty» – avec sa touche de kitsch nécessaire – au cœur de l’art magnétique d’Arielle Dombasle et Nicolas Ker n’ouvre peut-être pas les consciences, il n’en est pas moins stratosphérique.

Valentin Maniglia

Empire, d’Arielle Dombasle et Nicolas Ker.

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