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[Album de la semaine] Tame Impala dans sa bulle


Tame Impala, disons plutôt Kevin Parker, son homme-orchestre, ne laisse personne indifférent. (capture YouTube)

Nous y voilà ! Il est enfin là, l’objet de toutes les attentes, de toutes les convoitises. Celui dont la presse spécialisée guettait, depuis un an, le moindre soubresaut, épiait les maigres indices laissés sur la toile, chroniquait, comme des morts de faim, les singles promotionnels devant annoncer la tempête, l’album de la décennie à venir, le Graal. Oui, Tame Impala, disons plutôt Kevin Parker, son homme-orchestre, ne laisse personne indifférent. Rares même sont aujourd’hui les artistes et groupes estampillés «rock-pop» à générer autant de fantasmes, à susciter de tels espoirs fébriles.

La raison ? Une aura intacte, née il y a pourtant déjà dix ans avec Innerspeaker, chef-d’œuvre psychédélique derrière lequel on découvrait la frêle carrure du nouveau messie, cheveux longs et sourire bienveillant, gentil Australien préférant l’ombre des studios au soleil en bordure de l’océan Indien, dans lesquels il s’enferme de très longues heures pour mieux imaginer une musique faite de multiples couches, comme une généreuse lasagne lors d’un repas de mariage italien. Deux autres productions suivront, appuyant ce statut de phénomène : d’abord Lonerism (2012), tout aussi composite, porté par les tubes entêtants Apocalypse Dreams et Elephant, et ensuite Currents (2015), consacré «album de l’année» aux Grammy, et aux orientations électroniques plus ancrées dans l’époque, marquant clairement un tournant dans le style du groupe. En somme, finies les six-cordes, place aux synthétiseurs !

Une observation qui résonne comme un véritable mantra chez le «one-man band». D’une certaine manière, Kevin Parker suit, de loin, la trace de son illustre homologue Thom Yorke, lui aussi libre comme l’air quand il s’affranchit, régulièrement, de la pesante étiquette de Radiohead. Seule nuance, d’importance : le solitaire de Tame Impala reste fidèle à la pop, aussi alambiquée soit-elle.

The Slow Rush, quatrième offrande qui, donc, s’est fait désirer – ses premières boutures ont failli périr par les flammes lors des incendies de forêts qui ravageaient la Californie à l’automne 2018 –, porte dans son appellation même («la lente ruée») les obsessions de son créateur. D’abord ce besoin d’étirer le temps, nécessaire pour un producteur hanté par la nécessité du détail, inévitable pour un perfectionniste perdu dans ses vertiges. Ensuite, ce titre-oxymore rappelle que Kevin Parker, autoproclamé «drogué de nostalgie», aime chanter les démons du passé, comme en témoignent certains titres (One More Year, Posthumous Forgiveness, Lost in Yersterday), bien que d’autres se tournent résolument vers le futur (Tomorrow’s Dust).

Avec ce disque, celui qui collabora ces dernières années avec plusieurs pointures de la pop urbaine – Lady Gaga, Travis Scott, Mark Ronson, Kanye West… – reste fidèle à ses visions, et, dans le même sens, à son évolution musicale. Toujours seul en studio à la composition, au chant et à la production – il ne s’entoure de musiciens que pour la scène –, le multi-instrumentiste y déploie moult mélanges sonores, plus ou moins intrigants.

D’emblée, l’oreille bloque sur les multiples strates de claviers et les samplers, derrière lesquels surgissent des tambours, des flûtes, quelques cordes… Et il y a surtout cette voix, omniprésente et aux airs bioniques, pétrie de réverbération. Au fil de l’heure d’écoute, les dix titres traversent l’Histoire, lorgnant Supertramp, Daft Punk, les Bee Gees, s’imprégnant au passage de multiples courants (krautrock, funk, disco…).

Mais il y a un hic : avec si peu de place laissée au silence, The Slow Rush devient un objet d’une trop grande densité, devant laquelle la menace d’étouffement est sensible – il faut d’ailleurs plusieurs écoutes pour en apprécier toutes les subtilités. Et comme tous les titres – en dehors peut-être d’Instant Destiny, Borderline et Posthumous Forgiveness – n’ont pas la même instantanéité que ceux des précédents albums, l’ensemble fatigue. Tous les effets retombent comme un soufflé, et la sensation finale perd toutes ses chatoyantes couleurs. Comme le suggère la jolie pochette, métaphore du sablier, plonger dans le dernier Tame Impala n’est pas une perte de temps. Espérons seulement qu’à la longue, Kevin Parker, génie coincé dans sa bulle, ne prêche pas dans le désert.

Grégory Cimatti

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