Dans une époque où tout se voit, tout se sait et tout s’entend, on s’étonne encore que les $uicideboy$ ne soient pas déjà devenus des «$uperstar$». C’est que le grand public aurait du mal à supporter leur vision apocalyptique de la vie. De fait, eux ne sont jamais cités parmi les meilleurs rappeurs américains actuels. Mais ils en font partie. N’en déplaise aux parents trop bien élevés qui ont les poils qui se hérissent quand leurs ados font le mur pour voir les deux énergumènes sur scène, c’est aussi leur nom qui trône sur les panneaux des grandes villes quand ils se produisent en concert.
Destinés à voguer dans le monde du rap underground, $uicideboy$ ont fini par en être les rois
Car $uicideboy$ – le signe du dollar est important – posent un problème à la société américaine et au monde occidental en général : alors que le rap se glorifie d’être passé d’art polémique et censuré à «mainstream», eux renversent la tendance avec des paroles lugubres sur le suicide, la maladie mentale et l’addiction aux drogues dures, et une imagerie satanique bien fournie. Destinés à voguer dans le monde du rap underground, ils ont fini par en être les rois. Devenus des monstres de la scène – le seul lieu où peut pleinement se construire et exister toute musique alternative –, les deux cousins de la Nouvelle-Orléans ont gagné du galon sur SoundCloud avec des sorties à tour de bras qui ont forgé leur son et leur style. Des dizaines et des dizaines de titres, toujours très osés, mais pas souvent réussis : au mieux intéressants, au pire indigestes. C’est sur scène qu’ils font toute la différence.
Avec I Want to Die in New Orleans, en 2018, le vent tourne : ce premier album prouvait que leur enfermement en studio pouvait avoir du (très) bon, avec un niveau d’exigence qui ne trahirait pas leur musique. Depuis, ils n’ont cessé de se surpasser, avec des projets toujours plus fous, à tel point qu’il fallait se demander si Stop Staring at the Shadows (2020), leur dernière mixtape – qui faisait suite au projet rap-rock déjà improbable Live Fast Die Whenever (2019), avec le batteur de Blink-182, Travis Barker –, était au sommet de leurs capacités. Mais Long Terms Effects of Suffering est une nouvelle claque.
À sa manière, le nouvel album de $uicideboy$ est le plus accessible. Pas par le contenu des paroles, qui continue de creuser leurs sujets de prédilection – et qui sont, de toute façon, ce que le groupe a de moins intéressant à offrir en général –, mais par tout le reste. Les productions, merveilleusement soignées, sont peut-être les plus riches de leur carrière, mais aussi les plus sombres. Dans Life Is But a Stream, ils chantent l’addiction comme une ballade rap embellie par un air de guitare; le rythme de 5 Grand at 8 to 1 tressaute aux côtés d’un doux sample de saxophone, tandis que Forget It donne une profondeur presque spatiale à leur style trap.
Cela ne les empêche pas d’insérer dans Long Terms Effects of Suffering de véritables morceaux de bravoure purement rap. If Self-Destruction Was an Olympic Event, I’d Be Tonya Harding, avec son long titre extravagant et le «flow» appuyé des rappeurs, a tout du futur titre culte du duo. Dans la plus grande tradition du «Dirty South», des titres comme We Envy Nothing in the World ou Materialism as a Means to an End devraient s’écouter, de préférence, au volant d’un gros Hummer aux amortisseurs qui rebondissent. Après tout, il faut bien leur rendre hommage : $uicideboy$ sont parmi les meilleurs rappeurs de leur génération.
Valentin Maniglia
$uicideboy$
Long Term Effects of Suffering
Sorti le 12 août
Label G*59
Genre rap