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Les maisons à colombages, vitrines touristiques et gouffres financiers


A Strasbourg, "les propriétaires jouent le jeu" et "portent ces charges", note la municipalité. (photo AFP)

Les milliers de façades à pans de bois de villes comme Rouen, Strasbourg, Rennes ou Tours sont des vitrines touristiques pour les municipalités, mais cette architecture médiévale se révèle aussi fréquemment un gouffre financier.

En route pour le Mont-Saint-Michel, Naritoshi, 25 ans, a marqué l’arrêt à Rennes après être tombé sur une photo dans son guide. Ce jeune touriste japonais immortalise la place du Champ-Jacquet, entourée d’immeubles à colombages aux couleurs vives, édifiés au 17e siècle. « Ce type d’architecture n’intéressait personne jusqu’aux années 70 », explique Daniel Leloup, architecte et maître de conférence à l’Université Rennes 2 : « On trouvait qu’elle n’avait pas de qualité en comparaison à l’architecture en pierre. Il suffit de regarder Paris avec Haussmann ».

Lorsque Prosper Mérimée, célèbre inspecteur général des monuments historiques, pose ses valises en Bretagne, « il trouvait cela nul ». « La seule chose qui l’intéressait, c’était les mégalithes », raconte Daniel Leloup. Après la Seconde Guerre mondiale, « une prise de conscience s’opère » et des initiatives de classement sont lancées à Rouen, Rennes ou Strasbourg. Mais « si on avait suivi la logique urbanistique, tout aurait été détruit à Rennes, ce qui a été le cas pour Nantes ou Bordeaux », relève l’architecte, ardent défenseur de ce patrimoine.

En proie aux incendies

En effet, ces édifices typiques de la noblesse d’Europe du Nord, qui trustent désormais les cartes postales normandes, alsaciennes ou tourangelles, sont associés au mal logement et fréquemment occupés par des étudiants désargentés. A la fragilité du bâti – l’installation de gouttières et de conduits de descente, par exemple, ont fait pourrir le chêne -, s’ajoute le risque d’incendie : « un îlot à pans de bois qui n’aura pas fait l’objet de restauration a beaucoup plus de potentiel combustible qu’un immeuble aux murs en béton », constate Thierry Bonnier, directeur des sapeurs-pompiers dans le secteur sauvegardé de Rennes. Conséquence : 39 incendies y ont été recensés, dont certains mortels, entre 2014 et 2017 et des trous béants sont visibles au cœur de la ville.

Restaurer ces maisons à pans de bois « coûte une fortune », reconnaît Daniel Leloup, « ça peut durer des années et il faut tout démonter ». Ainsi, la capitale bretonne va débourser 21 millions d’euros d’ici 2023 en réhabilitation, après une première campagne de 17 millions entre 2011 et 2016. Mais ce patrimoine constitue « un potentiel économique », analyse Daniel Leloup. « On a commencé à réhabiliter les façades partiellement pour que les touristes aient de belles photos », ironise-t-il.

Strasbourg en avance

Boutiques, bars, restaurants… ont ainsi investi ces murs médiévaux et des villes comme Rouen et Strasbourg, qui en possèdent plus d’un millier, ont pris de l’avance par rapport à la capitale bretonne. Pourtant, à Strasbourg, où une maison sur deux dans le centre historique est à colombages, la municipalité ne s’est pas engagée dans cette réhabilitation. « Les propriétaires jouent le jeu » et « portent ces charges », note Dominique Cassaz, responsable municipale de la mission Patrimoine Unesco. « Il n’y a pas vraiment de verrues dans le centre ville, c’est un travail de longue haleine sur le terrain (…) auquel s’ajoute la mentalité alsacienne fière de ce patrimoine », considère la responsable strasbourgeoise. Sans pouvoir le chiffrer avec précision, « c’est clair, ça rapporte » économiquement, dit-elle.

Sous l’ombrelle bienveillante de l’Unesco, avec la maison Kammerzell, joyau architectural de 1588, et la Petite France, les colombages de la capitale alsacienne sont inscrits depuis maintenant 30 ans (1988) sur la liste du patrimoine mondial.

Rouen, dont l’office du tourisme vante depuis les années 60 « ses rues pavées au charme incomparable (…) ornées de maisons à pans de bois », a attiré plus de 260 000 visiteurs en 2016, pour des retombées sur la région estimées à 210 millions d’euros, selon les chiffres de Métropole Rouen Normandie. Et environ 5 000 emplois y sont directement liés au secteur touristique.

Le Quotidien/AFP

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