Après les révélations de Greenpeace, la France a sonné la charge mardi contre le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis, en menaçant clairement de le bloquer si Bruxelles n’obtenait pas de concessions de Washington.
«Jamais nous n’accepterons la mise en cause des principes essentiels pour notre agriculture, notre culture, pour la réciprocité pour l’accès aux marchés publics», a affirmé le président François Hollande en clôture du colloque «La gauche au pouvoir», à Paris, à l’occasion du 80e anniversaire du Front populaire.
«Voilà pourquoi, à ce stade, la France dit +non+ dans l’étape que nous connaissons des négociations commerciales internationales», a affirmé le chef de l’État, au lendemain de la publication par Greenpeace de documents confidentiels sur les discussions à propos du TTIP.
Quelques heures auparavant, le secrétaire d’État au Commerce extérieur, Matthias Fekl, avait prévenu, de son côté, que l’arrêt des négociations était «l’option la plus probable» aujourd’hui et laissé entendre que la France pourrait bloquer les négociations commencées il y a près de trois ans.
«Il ne peut pas y avoir d’accord sans la France, et encore moins contre la France», a-t-il affirmé, fustigeant au passage «l’état d’esprit des États-Unis» qu’il affirme dénoncer «depuis un an». «Nous voulons de la réciprocité. L’Europe propose beaucoup et elle reçoit très peu en échange. Ce n’est pas acceptable», a affirmé le secrétaire d’État. Pour Vivien Pertusot, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI) à Bruxelles, les déclarations françaises ne vont pas empêcher pour autant la poursuite des négociations.
«Quand la Commission s’empare d’un sujet, elle va généralement jusqu’au bout. Il est donc difficile d’envisager un arrêt pur et simple des négociations dans les prochains mois», a-t-il expliqué. Mais la position de Paris pourrait compliquer les négociations en cours, selon cet expert. «Il est clair que sans un soutien politique de la part de la France, il est difficile d’envisager une conclusion positive et rapide des négociations sur le TTIP», a-t-il affirmé.
Les opinions publiques sont très remontées en Allemagne et en France et dénoncent l’opacité des négociations. Aux États-Unis, les candidats aux primaires, comme le républicain Donald Trump ou la démocrate Hillary Clinton ont déjà sévèrement critiqué le TTIP.
«Le commerce n’est pas un but en soi»
Avec les élections prévues en novembre aux États-Unis, en mai en France et en Allemagne à l’automne 2017, «le calendrier politique fait que si les négociations ne sont pas finalisées dans les prochains mois, on peut considérer qu’elles ne le seront pas avant fin 2017 ou début 2018», selon M. Pertusot. M. Fekl a énuméré certaines conditions pour trouver un terrain d’entente avec Washington. «Nous souhaitons que nos PME aient accès au marché américain. Nous souhaitons défendre l’agriculture, les indications géographiques», a-t-il expliqué.
Le secrétaire d’Etat a également exigé le respect des normes environnementales. «Cela n’aurait aucun sens d’avoir fait la COP21 (conférence mondiale sur les changements climatiques, ndlr) en décembre à Paris, ce superbe accord pour l’environnement, et de signer quelques mois après un accord qui viendrait le détricoter», a-t-il affirmé. «Le commerce n’est pas un but en soi, c’est un outil», a-t-il insisté. Quant au principe de précaution, défendu par les Européens, M. Fekl est convaincu que «les Américains ne veulent pas en entendre parler».
Pour l’ex-Premier ministre de droite (Les Républicains), François Fillon, il faut simplement «arrêter de discuter» car «les Etats-Unis exercent sur l’Europe une tutelle économique et financière, à travers la justice américaine, qui devient insupportable.» Toute la classe politique française ne partage pas ce point de vue. L’eurodéputé Les Républicains Alain Lamassoure a estimé que les opposants au TTIP étaient «des anticapitalistes primaires» qui «font le jeu de la Chine et affaiblissent l’Europe», dans un entretien à L’Opinion.
Négocié dans le plus grand secret depuis mi-2013, l’accord TTIP, également appelé Tafta, vise à supprimer les barrières commerciales et règlementaires de part et d’autre de l’Atlantique pour créer une vaste zone de libre-échange censée doper l’activité économique.
Le Quotidien/AFP