Madame Claude, créatrice dans les années 1960 d’un célèbre réseau de prostitution de luxe fréquenté par le gotha du monde politique et économique, dont on a appris mardi la mort survenue samedi, voulait « rendre le vice joli ».
« J’ai essayé, et quelque part réussi, à enlever tout ce qu’il y avait de laid et de bas dans cette profession », assurait cette élégante proxénète aux allures de grande bourgeoise qui estimait « vendre du rêve » et avait définitivement exclu de son vocabulaire les mots de « passe » ou « de « client », préférant ceux de « rencontre » ou d' »ami ».
Blonde à double face, elle était, selon les circonstances, charmante, persuasive et pétillante ou bien froide, dure en affaires et très autoritaire. De son vrai nom Fernande Grudet, cette femme avide de respectabilité avait organisé un réseau de call-girls, protégé par la police et les services secrets, qui avait inspiré auteurs et cinéastes, comme Just Jaeckin (auteur de « Madame Claude« , 1977, avec Françoise Fabian), avec son cortège de fantasmes et de mensonges.
Née le 6 juillet 1923 à Angers dans une famille très modeste (son père tenait un petit café), la future Madame Claude – un nom qui sera, même à l’étranger, l’incarnation de l’entremetteuse de luxe – s’était inventée une vie de jeune fille de famille bourgeoise et résistante. Dans son autobiographie (« Madam », Michel Lafon, 1994) elle assurait même avoir été déportée à Ravensbrück.
Fille mère pendant l’Occupation, sans diplôme et sans argent, Fernande Grudet monte à Paris après la Libération et se prostitue près de l’Opéra avant de faire ses débuts de proxénète en 1957. Les maisons closes ont été officiellement fermées en 1946 à Paris et Fernande Grudet devient Madame Claude, munie d’un téléphone et de deux carnets.
Les carnets de Madame Claude
Le premier contient le nom et le numéro de téléphone de jeunes femmes repérées dans les boites de nuit chics ou aux terrasses de café. Elles sont convoquées par Madame Claude dans son appartement, rue de Marignan (VIIIe arrondissement). Elle les jauge et leur conseille, si nécessaire, de recourir à la chirurgie esthétique.
Dessous raffinés, robes de grand couturier, bijoux, valises de luxe: Madame Claude les façonne en élégantes au langage châtié. En vingt ans, elle recrutera plusieurs centaines de jeunes femmes et quelques garçons qui se vendront pour 10 000 ou 15 000 francs la nuit (1 500 à 2 300 euros) en lui laissant une commission de 30%.
Le second carnet abrite les noms de ses clients et leurs préférences sexuelles et autres fantasmes: hommes politiques et chefs d’Etat français et étrangers, comme le Chah d’Iran ou John F. Kennedy, célébrités du cinéma, hommes d’affaires comme le patron de Fiat Giovanni Agnelli. Si nécessaire, les jeunes hétaïres prennent des avions privés pour rejoindre leur client. En échange des confidences recueillies sur l’oreiller par ses filles, Madame Claude s’assure les meilleures protections. « Il faut aller très haut pour être protégée bien et longtemps », se bornait-elle à dire.
Ses protections? Celles de la Brigade mondaine et du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (Sdece, devenu DGSE) qui peut ainsi avoir barre sur des responsables étrangers, notamment africains. « La maquerelle de la République », comme on l’appelait dans les années 1970, se croit même à l’abri du fisc. Mais en mai 1972, le fisc saisit ses carnets et calcule son « chiffre d’affaires ». Elle doit 11 millions de francs (1,7 million d’euros).
L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à l’Elysée deux ans plus tard sonne la fin des protections et précipite sa chute. La justice la condamne en octobre 1976 à dix mois de prison avec sursis et 11 millions de francs d’amende pour fraude fiscale. En juin 1977, Fernande Grudet part pour les Etats-Unis pour éviter la prison. Fin 1985, elle rentre en France et s’installe à Cajarc (Lot) où elle est arrêtée.
Emprisonnée quatre mois à Cahors, mais gardant jusque dans sa cellule son manteau de vison tout en déjeunant de mets fins, elle s’installe à Paris et ne peut s’empêcher de refaire ce qu’elle maîtrise parfaitement: remonter peu après un réseau de prostitution. La septuagénaire est pourtant condamnée en septembre 1992 à trois ans de prison, dont six mois ferme.
Après avoir monnayé ses confessions télévisées fin 1992, elle se retire sur la Côte d’Azur où, depuis, elle vivait recluse, dans un petit appartement, gardienne de nombreux secrets qu’elle n’aura jamais révélés.
AFP
Tout un mythe qui s’en va