Le gouvernement entend impulser la transition vers une économie « circulaire » qui, selon une étude, permettrait d’économiser jusqu’à un milliard d’euros par an, tout en créant 2 200 emplois d’ici trois ans.
L’économie circulaire peut « accroître la compétitivité et l’emploi », a déclaré Francine Closener, secrétaire d’Etat à l’économie. (Photo : François Aussems)
Produire, consommer, jeter. L’antienne linéaire de la vieille économie est aujourd’hui dépassée, « irréaliste et irresponsable » selon la secrétaire d’État à l’Économie, Francine Closener. Même pas au nom de la protection de l’environnement. « Non, c’est plutôt ce vert-là qui nous intéresse », a résumé Christian Tock, attaché au ministère de l’Économie, devant une diapositive montrant des liasses de billets (verts) de 100 euros.
Parler argent afin de réconcilier économie et écologie, tel est le credo du gouvernement qui s’est lancé, hier, à la Chambre de commerce, devant un parterre d’acteurs du monde économique, dans la promotion des bienfaits de « l’économie circulaire ».
Selon l’étude commandée au cabinet EPEA, cette économie qui réutilise au lieu de détruire, représente déjà entre 7 000 et 15 000 emplois au Grand-Duché, pour un chiffre d’affaires dépassant le milliard d’euros. Sans forcément dire son nom, on la retrouve notamment dans l’industrie sidérurgique, la construction et la distribution. Le Grand-Duché ne part donc pas de zéro dans cette transition écologique.
Jugé « substantiel », le potentiel de ces nouvelles pratiques atteindrait « entre 300 millions et un milliard d’euros » d’économies par an à moyen terme (essentiellement en achat de matériel), en plus de générer 2 200 emplois d’ici trois ans. Premiers secteurs concernés : la construction, l’automobile, l’industrie, la finance, la logistique, la recherche et développement (R&D) et l’administratif.
« Il ne s’agit pas de réduire la croissance et la consommation, mais bien d’augmenter les chiffres d’affaires, a insisté Christian Tock. Le but est de remplacer le coût des matières premières, que nous n’avons pas au Luxembourg, par le coût du travail, en embauchant des personnes sans emploi, que nous trouvons en revanche au Luxembourg. »
Comment ? En réfléchissant dès la conception du produit à son devenir final. Ce qui implique de considérer le recyclage « autrement que durant les 20 dernières années, comme un simple tas de déchets à traiter. » De ne pas mener seulement des politiques environnementales réparatrices, mais de « repenser les modèles économiques », qui deviendront ainsi « plus compétitifs et résistants aux crises ». « Il faut une approche globale et transsectorielle. Tôt ou tard, tous les secteurs seront concernés », a encore souligné l’attaché du ministère de l’Économie.
> « Le train part, on lance un appel à projets »
Selon l’étude, le Luxembourg dispose de la taille, de la motivation et des compétences nécessaires pour devenir un laboratoire en matière d’économie circulaire. Mais tout reste à inventer, en particulier les outils financiers et réglementaires qui devront soutenir ces initiatives. « Cette transition ne pourra se faire que par une politique de petits pas », a prévenu Francine Closener. « Il faudra absolument revoir notre politique fiscale et de subventionnement, qui favorise aujourd’hui le court terme et le modèle linéaire. Le gouvernement est en train d’y réfléchir dans le cadre de la réforme fiscale », a ajouté Camille Gira, secrétaire d’État au Développement durable et aux Infrastructures, associé au projet.
L’étude du cabinet EPEA dresse néanmoins un véritable plan d’action, avec dix premiers projets concrets pour 2015. L’entreprise Chaux de Contern, spécialisée dans les matériaux de construction, collaborera par exemple avec des universités de la région pour intégrer l’usage de matières premières recyclables. KPMG doit, de son côté, imaginer « un cycle complet » des 5 000 tonnes de papier utilisées chaque année au Kirchberg. Quant à Post Luxembourg, dont les camionnettes repartent toujours à vide, elle doit inventer, avec ses clients, un système de « logistique inversée ».
L’étude de 500 pages se veut le point de départ de ce changement de système. Un groupe de travail va être mis en place. « Le train part aujourd’hui. Il va partir lentement pour accrocher un maximum de wagons. On lance un appel à partenariats, à idées, à projets », a déclaré hier Romain Poulles, président du Luxembourg EcoInnovation Cluster et chargé du pilotage de l’opération sous l’égide du ministère de l’Économie. « On part encore relativement tôt par rapport à d’autres pays. Et vu notre petite taille, on va pouvoir démarrer rapidement », ajoute-t-il.
> « Tous les bâtiments sont des banques »
De nouveaux instruments devront être conçus, à commencer par une banque de données sur l’ampleur et les flux de matières au Grand-Duché. Un nouveau label, complémentaire des labels existants, devrait aussi voir le jour. Une réflexion à l’échelle de la Grande Région sera également nécessaire, vu la forte interdépendance dans la circulation des matériaux.
KPMG est chargé de préparer la place financière à un tel décollage. « Il est possible qu’un fonds d’investissement se spécialise dans l’économie circulaire avant la fin de l’année », a glissé Romain Pouilles. Représentée par Shiva Dustdar hier, la Banque européenne d’investissement (BEI) se dit prête à accompagner les projets luxembourgeois via son dispositif InnovFin.
« Tous les bâtiments au Luxembourg sont des banques. Ici [à la Chambre de commerce], vous avez entre 15 000 et 20 000 tonnes de matières premières secondaires », a rappelé Romain Poulles.
Il y a encore du chemin, mais Camille Gira se réjouit avant tout de ce décloisonnement : « On sort des positions classiquement antagonistes entre les gens de l’économie et ceux de l’écologie. Même dans les ministères, j’ai découvert, à mon arrivée, une façon de penser en silos. Avec ce gouvernement, on est en train d’en sortir. » Un petit pas certes, mais un pas absolument indispensable.
De notre journaliste Sylvain Amiotte