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Réfugiés : à la Shuk, « on nous traite comme des criminels »


Entre les vols et le bruit, certains DPI vivant à la Shuk se sentent en insécurité. (illustration François Aussems)

Depuis le 1er avril dernier, le hall 6 de Luxexpo est devenu la Structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg (Shuk), qui accueille les réfugiés sous le coup d’une procédure d’éloignement en vertu de Dublin III. Certains supportent mal leurs conditions de vie.

La Structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg n’est pas un foyer d’accueil pour demandeurs de protection internationale (DPI) comme les autres. Installée dans le hall 6 de Luxexpo à Luxembourg – qui auparavant servait de foyer de primo-accueil des DPI –, la Shuk accueille depuis le 1er avril dernier les réfugiés susceptibles de faire l’objet d’un transfert vers un autre État membre de l’UE en vertu de l’application du règlement européen Dublin III.

Les conditions de vie ne sont pas les mêmes que dans un foyer d’accueil ni qu’au centre de rétention. À l’intérieur du hall 6 de Luxexpo, on trouve 216 lits répartis dans des tentes divisées en quatre blocs entourés de parpaings (il y avait 83 personnes fin décembre). Au milieu se trouve le poste de sécurité central (huit agents sont présents en permanence à l’intérieur et à l’entrée de la structure). Un service administratif et un service social sont également là pour aider les demandeurs d’asile. Il y a aussi une cantine, des baby-foots et une table de ping-pong.

Fouilles, vols, stress…

Lors de sa visite en septembre dernier, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks avait souligné avoir «été désagréablement surpris de voir des tentes dans un hall au Luxembourg». Sans oublier que la Shuk est un centre semi-ouvert et qu’en vertu de son règlement intérieur (23 articles) les DPI qui y sont assignés à résidence sont autorisés à quitter l’enceinte de 8h à 20h, mais leur présence est obligatoire de 20h à 8h et elle est contrôlée. Les DPI sont fouillés à chacune de leurs entrées dans le hall 6.

«On nous traite comme des criminels, avance un Africain de l’Ouest de 20 ans*, passé entre autres par la Libye et l’Italie avant d’arriver au Luxembourg et de séjourner à la Shuk depuis plus de trois mois. On a l’impression d’être en prison. On fouille tout le temps nos sacs.» «Ils contrôlent les tentes même la nuit, dit un autre Africain de 27 ans présent depuis début novembre. On ne peut rien ramener à manger. Et si, par exemple à cause des cours de langue qu’on suit avec des bénévoles à l’extérieur, on n’est pas là aux heures de repas, on ne reçoit rien à manger. On n’est vraiment pas en liberté là-bas, alors qu’on n’a rien fait.»

«Les fouilles me stressent et comme j’ai des problèmes d’insuline, il y a quelque temps j’ai dû aller à l’hôpital», indique un Palestinien de 40 ans, passé par la Libye et l’Italie, et qui est là depuis plus de cinq mois avec sa femme marocaine (la seule présente actuellement). L’absence de prise en charge médicale est pointée du doigt par des associations comme l’ASBL Passerell – qui cherche à favoriser les contacts entre les demandeurs d’asile ou réfugiés et les résidents, et qui a lancé une cellule de veille et d’action juridique en matière d’asile animée par des juristes bénévoles. «À notre connaissance, un assigné qui se plaint d’un problème médical à la Shuk part en consultation à la Logopédie, qui le conduit à la direction de la Santé, indique Cassie Adélaïde, coordinatrice de projets à Passerell. Et des personnes souffrant de séquelles psychologiques graves suite à des tortures ont expliqué qu’à la direction de la Santé on leur remettait uniquement des cachets pour dormir.»

«Ici, ce n’est pas le Luxembourg»

Le Palestinien poursuit : «Il y a aussi des vols, des bagarres parfois, certains reviennent saouls ou drogués. Tous les jours, il y a des problèmes et quand vous dites quelque chose à la sécurité, on vous répond : ‘on est la sécurité, pas la police’ ou ‘si tu n’es pas content, tu peux partir’. J’ai peur pour ma femme. Et quand ça ne va pas, on sort pendant deux heures pour nous calmer et que cela se calme à l’intérieur.»

Les nuits sont courtes pour beaucoup. «Ceux qui sont saouls parlent fort toute la nuit et les agents de sécurité leur disent juste ‘doucement, doucement…’ et quand ils repartent, il y a de nouveau du bruit. Je suis fatigué, raconte un Africain de l’Est de 30 ans, passé par la Libye pendant un an avant de rejoindre l’Italie, la France et le Luxembourg. Mon père et ma sœur sont morts, j’ai été persécuté dans mon pays que j’ai fui il y a quatre ans. On me dit que c’est une chance pour moi d’être ici. C’est quoi ma chance ? Je ne dors pas et je ne me sens pas en sécurité. Je veux aller dans un autre endroit pour reprendre une vie normale étape par étape. Je veux avoir une vraie chance.»

Selon Cassie Adélaïde, de l’ASBL Passerell, «il y a plusieurs personnes vulnérables qui sont à la Shuk et ce n’est pas un accueil adapté à leurs traumatismes. De plus, ils n’ont aucun moyen de faire reconnaître ces vulnérabilités par des professionnels.»

Résultat, beaucoup vivent dans une attente stressante due à l’incertitude entourant leur sort. «On m’a dit que je suis un ‘Dubliner’, que je devais retourner en Italie. Et là, cela fait plus de cinq mois qu’on est là, confie le Palestinien de 40 ans. Luxembourg est une belle ville, les gens sont gentils. Ici, ce n’est pas le Luxembourg. On n’en peut plus d’être à la Shuk.»

Guillaume Chassaing

* Les DPI qui témoignent ici ont souhaité garder l’anonymat.

Jean Asselborn : « On peut faire mieux »

«On ne considère pas les gens comme des criminels et ils ne sont pas en prison à la Shuk, avance Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères et européennes, de l’Immigration et de l’Asile. Les contrôles sont rigoureux pour la sécurité de tous ceux qui sont à la Shuk, pour éviter qu’il y ait de l’alcool et des drogues à l’intérieur. Les bagarres sont extrêmement rares. Concernant les vols, il y a des casiers où ils peuvent ranger leurs affaires et chacun doit faire attention à ses effets personnels. La direction, les agents sociaux et les agents de sécurité sont à l’écoute des DPI.»

Et concernant l’accès aux soins ? «Je suis très favorable à une présence médicale à la Shuk, répond Jean Asselborn. Nous travaillons pour qu’une infirmière soit présente sur place.» Il poursuit en reconnaissant qu’ «il arrive que des personnes vulnérables soient à la Shuk, mais il est difficile de les déterminer», avant de souligner que «tous ceux qui sont à la Shuk ne sont pas des personnes vulnérables». «On peut faire mieux», admet Jean Asselborn.

«La Shuk est une structure provisoire et a été mise en place car à un moment donné il y avait une saturation dans les foyers d’accueil, indique le ministre des Affaires étrangères et européennes, de l’Immigration et de l’Asile. Nous devons trouver un emplacement pour construire une structure définitive de retour digne de ce qu’on doit faire pour les demandeurs de protection internationale.»

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