Ce rêve deviendra réalité en septembre. Une ASBL va ouvrir sa première école basée sur cette pédagogie en plein boom. Ses responsables nous racontent leur parcours de combattantes pour une pédagogie plus «respectueuse» des capacités et désirs des enfants.
Pendant que je discute avec sa maman, une fillette s’amuse à côté de nous… et s’intéresse de plus en plus à une paire de lunettes posée sur le bord de la table. Machinalement, je les éloigne. Par précaution. Avant de regretter mon intervention : pas très «Montessori», ça, non? «En effet, sourit Sylvie, la maman. Vous pouviez lui faire confiance, et si les lunettes étaient tombées, elle les aurait ramassées… Mais bon, vous savez, il faut relativiser. Montessori, ce n’est pas une doctrine permanente. Certains parents veulent en faire trop. Si chacun fait le mieux qu’il peut, c’est déjà beaucoup!»
Sa voisine Elise ajoute : «Oui, il faut dédramatiser. C’est déjà culpabilisant d’être parent, alors si en plus on se rajoute une pression constante!»
«Et si les parents ne se trompent pas, comment les enfants peuvent-ils apprendre? Montessori, c’est aussi un apprentissage par l’exemple. Personne n’est parfait!», rassure Véronique, concluant ce cours accéléré de pédagogie.
Un travail de titan
Nous les rencontrons dans le jardin de Sylvie, à Bertrange. Un joli carré de verdure avec des poules qui caquettent, un beau potager… et une cabane pas comme les autres. Sylvie y a réalisé l’un de ses rêves : un atelier en ambiance Montessori.
Cet atelier est une étape dans la mission que se sont fixée ces trois «expat» (Véronique Winum et Élise André sont françaises et Sylvie Robert-Murgante, belge) : «On a le rêve fou de construire une école alternative, ici, au Luxembourg, résume Élise. Une école dans les trois langues du pays – luxembourgeois, français et allemand –, bienveillante, ouverte, dans la nature, avec la pédagogie Montessori, mais aussi ouverte à d’autres influences d’éducation alternative», c’est-à-dire «respectueuse du rythme de chaque enfant».
Véronique et Sylvie sont le noyau dur de ce projet : elles sont respectivement présidente et coprésidente de l’ASBL International Montessori School, créée en 2014 (qui comprend d’autres membres, dont Élise depuis six mois). «Lorsqu’on a créé l’ASBL, on s’est rendu compte que cela allait prendre du temps pour créer l’école de nos rêves. J’avais donc envie de faire quelque chose pour que les parents comprennent ce qu’est Montessori. Parce qu’au Luxembourg, il y a des établissements qui se disent Montessori, qui utilisent le matériel Montessori, mais qui ne le font pas tous forcément bien», glisse Sylvie.
«Avec une autre associée, on a donc déjà créé Doni Doni, pour commencer à rassembler des parents intéressés par l’idée, pour leur montrer comment ça se passe, et que cet atelier leur donne envie qu’on fasse quelque chose de plus gros : une école.» Et cela a fonctionné. Séduits par l’atelier, de nombreux parents soutiennent désormais le projet d’école… qui va voir le jour en septembre!
L’école Montessori Schule sera installée à Hobscheid, dans la ferme pédagogique An Hecken, chez Nicole Wagner. Elle comportera deux classes, une pour les 3-6 ans, et une autre pour les 6-12 ans, et emploiera une bonne douzaine de personnes (lire par ailleurs). Mais pour arriver jusque-là, ces femmes, qui ont toutes au moins trois missions à plein temps – famille, emploi et projet Montessori – ont abattu un travail de titan!
Et plus tard… un lycée?
«En juin 2016, j’envoyais le premier projet pédagogique au ministère», se rappelle Véronique. «Il n’existe pas de guide pour créer une école privée « en kit »… Et la loi est compliquée. Mais nous sommes soutenues par le ministère de l’Éducation nationale.»
Trouver un lieu n’a pas été facile non plus : «Quand on parle d’ouvrir une école privée, les gens ont vite des euros plein les yeux… Mais nous, on ne voulait pas faire une école à 15 000 euros l’année. Notre histoire, c’est de faire une école ouverte au plus grand nombre possible. Au Luxembourg, tout le monde n’a pas un salaire de ministre.» Par chance, elles sont tombées sur la ferme de Nicole Wagner, qui rêvait de participer à un tel projet, et qui leur loue des locaux à un prix «raisonnable». Mais il faut réaliser des travaux, sachant qu’une école implique une tripotée de contraintes (accessibilité, sécurité, etc.). Et surtout, il y a le nerf de la guerre : l’argent. «Nous n’avons pas de sponsors, on réalise le projet sur nos deniers propres. Mais beaucoup de parents nous aident : une personne avec ses compétences d’architecte, un autre dessine le logo de l’école…».
Certains parents les aident aussi en avançant les frais de scolarité (lire par ailleurs). Et elles veulent mettre en place un crowdfunding. L’État, lui, ne les subventionnera qu’une fois l’école ouverte. Elles lancent donc un appel : «Si on pouvait avoir des soutiens de la société civile, des partenaires qui veulent faire un sponsoring, on est intéressées.»
Car la rentrée se rapproche à grands pas! «Cette semaine, je vois les Bâtiments publics. Après, j’irai rencontrer le ministère de la Santé pour la partie école, puis pour la partie maison relais, pour l’alimentation… Il faudra aussi faire passer les organismes de contrôle…» énumère Véronique. Il faut aussi préparer un planning, organiser l’équipe pédagogique, réfléchir à la maison relais, au multilinguisme, à la multiculturalité… Un travail de titan, on vous dit!
Mais ces entrepreneuses sont confiantes : «On a déjà plus de demandes que de places, même si toutes ne sont pas confirmées», se réjouit Véronique. Et Sylvie ajoute, dans un sourire : «On réfléchit déjà à l’après. On aimerait ouvrir deux autres modules ailleurs dans le pays… et puis faire un lycée.» Elles n’ont même pas encore coupé le ruban de l’école qu’elles pensent déjà au lycée? «Mais regardez ma fille en même temps, dans deux ans elle a besoin d’un lycée», rit Sylvie.
Romain Van Dyck
L’ASBL est joignable par courriel (info@ems.lu). Il y a aussi une page Facebook («École Montessori Schule»).
Un business?
Ce mot fait voir rouge Sylvie : «Clairement, on ne fait pas ça pour le business. Je sais que la pédagogie Montessori est utilisée à tort et à travers, parce qu’elle n’est pas labellisée, mais ce que l’on cherche, nous, à faire, c’est à créer une école bienveillante, pour aider les prochaines générations à être plus autonomes, plus respectées dans leur personnalité, plus heureuses en fait.» Le minerval (droit d’inscription) de leur future école se montera à 3 600 euros annuels pour les 3-6 ans, et 4 500 euros pour les 6-12 ans. «Certains diront que c’est encore un privilège réservé aux élites. Mais une école de qualité a un coût. Et on le limite au maximum pour que le plus de personnes possibles en profitent. Le but, surtout, c’est de montrer que ça marche, pour que l’école publique s’empare de cette pédagogie et la démocratise», ajoute Véronique.
L’École Montessori, c’est quoi?
L’équipe
Une douzaine de personnes sera employée dans cette école qui comportera dans un premier temps deux classes. Pour les 3-6 ans, il y aura une classe de 28 élèves maximum (sachant que les élèves sont libres de sortir faire d’autres activités), avec une responsable des apprentissages qui est francophone, une institutrice luxembourgeoise, une chargée de cours à l’école luxembourgeoise depuis près de 20 ans… Pour les 6-12 ans, il s’agira d’une classe de 24 élèves maximum, avec une institutrice francophone et une luxembourgeoise responsable de la langue allemande… La responsable de la maison relais, qui est psychomotricienne, est luxembourgeoise. On citera aussi une personne chargée de la partie artistique, une autre qui fera les activités en forêt en allemand et en luxembourgeois, une prof de sport. Même Nicole Weber, la propriétaire de la ferme, participera en proposant des activités pédagogiques.
La philosophie
«L’enfant n’est pas un vase qu’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir», écrivait Maria Montessori. Médecin et pédagogue italienne du début du XXe siècle, elle a conçu une pédagogie expérimentale qui connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. Basée sur l’observation de l’enfant, elle entend respecter ses capacités et besoins : l’élève est libre de choisir son travail, sa durée, sa fréquence, mais sous l’observation attentive de l’adulte, qui l’aide à fixer et atteindre des objectifs. Les tenants de cette pédagogie décrivent souvent l’école traditionnelle comme un «monstre froid» qui nie les spécificités des enfants, encourage une concurrence anxiogène… Mais la prudence s’impose, car beaucoup se réclament de la méthode Montessori sans forcément en respecter les fondements, qui restent d’ailleurs sujets à controverses.
Les valeurs de «leur» école
-Transparence
«On veut une école pour les enfants et les parents, basée sur la transparence. C’est-à-dire que les parents savent ce qui se passe dans l’école, y prennent part, connaissent l’évolution de l’acquisition de l’enfant», explique Sylvie (photo, à droite).
-Multilinguisme
L’école se fera dans les trois langues nationales. «Si on exclut d’une école le français, l’allemand ou le luxembourgeois, on exclut une partie de la culture luxembourgeoise. On n’avait pas envie de ça», dit Véronique (au centre).
-Parents
«Le plus gros travail pédagogique, ce n’est pas sur les enfants, mais sur les parents et pédagogues, sur leurs propres peurs et projections. Les enfants, eux, sont surprenants, ils sont souvent capables d’une grande maturité!» sourit Élise (à gauche)