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Klima-Biergerrot : «Un travail de fourmi, sept jours sur sept»


Tommy Klein, le directeur général d’Ilres, a opéré, seul, le choix final des 100 citoyens qui composent le Klima-Biergerrot.  (photo archives LQ/Didier Sylvestre)

Parmi les nombreuses questions soulevées par le processus du Klima-Biergerrot figure celle de la représentativité de ses 100 citoyens triés sur le volet : un défi pour l’institut Ilres, qui dévoile les coulisses de cette mission, menée en janvier dernier.

Au sein de l’institut de sondage TNS Ilres – qu’il faut désormais appeler Ilres – c’est le directeur général, Tommy Klein, qui a chapeauté l’ensemble du processus de sélection des 100 citoyens composant l’échantillon représentatif du Klima-Biergerrot.

Il dévoile les coulisses de cette mission pas comme les autres, mais aussi les défis que représente l’exercice particulier de l’assemblée citoyenne et ses limites en termes de représentativité.

Comment construit-on un échantillon représentatif?

Tommy Klein : Parler de représentativité implique une population de référence. C’est la base. Celle-ci doit être bien définie, car ce n’est pas toujours la même. On établit un cadre et on fixe les variables sur lesquelles on veut être représentatif, en fonction de l’objectif de l’étude : à qui faut-il que je m’adresse pour obtenir des réponses pertinentes aux questions? En politique, on va cibler uniquement les électeurs par exemple.

Une fois définie cette population, comment procédez-vous?

Nous commençons la collecte de données selon différentes méthodes, toutes basées sur le hasard, un principe très important en statistiques pour éviter de créer des biais et pour obtenir un échantillon fiable : aucun profil n’est exclu, toutes les personnes ont une chance de pouvoir répondre à l’étude.

On utilise ainsi le tirage au sort, à partir de notre propre panel qui compte 18 500 personnes que nous pouvons interroger en ligne, ou bien le téléphone : on compose des chiffres au hasard jusqu’à tomber sur des numéros valides et lorsqu’on a une famille au bout du fil, on demande à parler à la dernière personne qui a fêté son anniversaire, afin d’éviter que ce soit toujours la même personne qui réponde. Ce principe de hasard assure la fiabilité d’un échantillon représentatif.

On peut aussi travailler par courrier, mais là ça concerne plutôt des populations bien précises : les bénéficiaires d’une prestation qu’on souhaite évaluer par exemple. Quant au registre national des personnes physiques, son accès est soumis à des conditions strictes, donc c’est plus rare. C’est la méthode la plus « pure » pour éviter tout biais potentiel, mais elle n’est pas applicable dans la plupart des projets.

Combien de temps prend cette phase?

Ça dépend de la méthode. Si on se base sur notre panel en ligne, une journée suffit. S’il s’agit d’un processus impliquant le registre national et des questionnaires avec envoi postal, il faudra compter plusieurs semaines.

Pour une participation citoyenne, quelles sont les contraintes?

La méthode et l’échantillonnage sont alors particuliers, et très différents d’un sondage d’opinion. Il y a deux approches : l’une, ouverte, avec un appel public à participation, l’autre consistant à prendre contact de manière proactive avec un échantillon tiré au sort dans le registre national. Nous, on opte pour un mélange des deux.

C’est ce que vous avez fait pour le Klima-Biergerrot?

Oui. Via de multiples canaux, et une conférence de presse dans ce cas, on a appelé les gens à s’inscrire pour prendre part au Klima-Biergerrot. En parallèle, sur base de notre panel en ligne et aussi par téléphone, on a tiré un échantillon au hasard et on leur a proposé de participer.

L’avantage d’un appel public étant qu’on touche énormément de personnes, mais bien évidemment, ça crée déjà un certain biais : il est fort probable que seules des personnes intéressées par la matière se manifestent. D’où l’importance d’être proactif pour minimiser ce risque et d’inviter des gens qui n’ont pas d’intérêt pour le sujet.

Des biais, il y en a toujours. Le tout, c’est d’en tenir compte, de travailler avec et de ne pas en créer trop.

Vous avez reçu plus de 1 000 réponses. Y en a-t-il eu aussi parmi le panel?

Oui, et ces personnes contactées de manière aléatoire ont été incluses dans le KBR. Je ne connais pas la proportion exacte, notamment parce que certaines personnes se sont désistées dans les deux groupes et ont dû être remplacées avant même le lancement.

Aviez-vous déjà mené ce genre d’exercice auparavant? 

En 2013, on avait été chargé de constituer un échantillon pour une initiative de ce type, et puis l’année dernière, nous avons formé le comité de citoyens dans le cadre du processus Luxembourg in Transition en 2021 (lire ci-contre), mais ça reste assez rare au Luxembourg sous cette forme. C’est un phénomène nouveau.

Que s’est-il passé ensuite avec toutes ces candidatures? 

Il a fallu constituer un échantillon représentatif de la population résidente qui couvre les différents points de vue : on a établi un groupe théorique idéal, qui pouvait répondre aux objectifs de l’étude, c’est-à-dire discuter des sujets liés au climat, en travaillant sur l’âge, le sexe, la nationalité, l’activité professionnelle et aussi le secteur, pour éviter que l’un ou l’autre soit surreprésenté, le niveau d’éducation et le profil socio-économique.

Mais surtout, on a mobilisé des variables de qualité : les motivations de la personne? Sa perception du sujet? Pour moi, il était clair, dès le début, que notre échantillon devait contenir des personnes en faveur de mesures plus restrictives, comme d’autres, plus réfractaires, qui ne sont pas prêtes à renoncer à leur voiture.

On a aussi dû tenir compte de l’engagement actuel des candidats sur ces questions, au niveau local ou national, considérant qu’ils font déjà entendre leur voix.

Votre échantillon n’a donc pas forcément l’apparence de la population, mais reflète la pluralité des opinions sur le climat au sein de la population?

C’est bien ça. Ici, la priorité était de couvrir tous les horizons de pensées. C’est en cela que nous devions être représentatifs. D’où certaines critiques sur le manque de diversité parmi les membres du KBR : le choix ne s’est pas fait sur la base de l’appartenance ethnique, tout simplement parce qu’à notre avis, cette variable ne provoque pas de différences de perception du changement climatique.

Ce fut un travail de fourmi et beaucoup d’heures, sept jours sur sept

Et par rapport à ce « groupe théorique idéal », comment s’est fait le tri?

C’est moi seul qui ai opéré le choix final, car j’avais une vue cohérente du début à la fin et l’expérience acquise précédemment. Pour chaque profil, je me suis posé la question de sa contribution potentielle à l’échantillon. Puis j’ai comparé : l’échantillon était-il bien équilibré, est-ce qu’un profil manquait? Ce fut un travail de fourmi et beaucoup d’heures investies, sept jours sur sept, pour se rapprocher du meilleur échantillon possible sur base des candidatures collectées.

Combien de temps avez-vous eu pour cette mission et est-ce que cela a été suffisant?

On a eu trois à quatre semaines pour tout mettre en place et gérer les candidatures à la suite de l’appel public, puis je me suis pris deux semaines exclusivement pour la finalisation. De l’extérieur, ça peut effectivement sembler serré, mais cela a l’avantage de créer de la dynamique et de limiter les abandons.

Une participation citoyenne s’étale sur plusieurs mois : comment faire pour que l’échantillon reste représentatif? 

C’est un grand défi. Et là, c’est davantage la modération qui doit jouer son rôle pour maintenir la motivation des participants. Au niveau de l’échantillon, on ne peut pas faire grand-chose. On a tout de même planifié une réserve représentative pour pouvoir remplacer un profil sur le départ par un profil équivalent.

Il était demandé aux candidats de maîtriser le français, l’anglais ou le luxembourgeois et de comprendre les deux autres langues. Cela n’a-t-il pas exclu d’office toute une partie de la population?

Oui, le choix de la langue, très important au Luxembourg, exclut des personnes. Dans le cas du KBR, il fallait pouvoir échanger et travailler en réunion, il fallait donc une langue véhiculaire. C’était un compromis pour avoir malgré tout la plus grande part de la population.

Selon vous, quelles sont les limites de ce genre d’assemblées? Peuvent-elles réellement représenter la société?

Il y aura toujours des biais, mais, selon moi, si l’échantillon est bien constitué, on peut tout à fait couvrir et illustrer fidèlement les différentes positions qui existent au sein de la population luxembourgeoise sur une thématique. Ce qu’on doit bien définir au départ, ce sont les objectifs : est-ce qu’on va pouvoir les atteindre avec une telle assemblée? Et que fera-t-on par la suite de ce qui en sortira?

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