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Fernand Kartheiser : « L’ADR est ce que le CSV était il y a 20 ans »


«D'une façon générale, nous estimons que la politique d'opposition du CSV est molle comparée à la nôtre», juge Fernand Kartheiser. (photo Hervé Montaigu)

Le député de l’ADR (Alternativ Demokratesch Reformpartei) Fernand Kartheiser défend le principe d’une liberté d’expression maximale, alors qu’il constate une pratique de l’autocensure.

Il veut un grand débat sur la question. La liberté d’expression est selon lui trop souvent bafouée au Luxembourg, alors il demande plus de clarté dans les textes législatifs. Concernant les rapports entre l’ADR et le CSV, Fernand Kartheiser estime que son parti est devenu plus fréquentable aux yeux de certains personnels politiques chrétiens-sociaux.

Le Quotidien : Dans une récente question parlementaire, vous estimez que la liberté d’expression est en danger au Grand-Duché. Quels sont vos reproches exactement?

Fernand Kartheiser  : Certaines lois concernant la liberté d’expression sont, à mon avis, mal rédigées dans la mesure où toute disposition pénale doit être précise et claire pour lui donner une sécurité juridique. Or, certaines des dispositions actuelles permettent des interprétations très larges. Le ministre de la Justice a estimé dans sa réponse à ma question parlementaire que « le sentiment d’être offensé » peut déjà justifier des poursuites. C’est très subjectif.

Je compte d’ailleurs interpeller le gouvernement en automne sur la liberté d’expression au Luxembourg. J’y évoquerai la censure, la liberté d’expression dans les médias et les médias sociaux. Nous connaissons déjà un problème d’autocensure au Luxembourg avec les organes de presse qui sont proches d’un parti politique, ce qui limite leur liberté surtout pendant une campagne électorale. Il y a encore une autre autocensure qui s’installe dans un climat de crainte. J’espère que ce sujet sera débattu par le plus grand nombre, dans le public et dans la presse.

Quand vous parlez d’autocensure, à quoi faites-vous référence?

Regardez l’évolution en Europe mais aussi aux États-Unis et vous voyez une tendance à l’uniformisation du discours, à la pensée unique. Tout ce qui sort de ce cadre paraît condamnable et est parfois même poursuivi. S’il y a des discours qui dérangent, ils sont violemment attaqués, même dans le monde académique. Des professeurs d’université ont été forcés de démissionner pour avoir osé sortir du politiquement correct. Cette dégradation de la liberté académique se remarque aussi au Luxembourg.

Nous avons des tendances qui m’inquiètent et m’attristent comme le regroupement des instituts académiques pour créer un seul Institut d’histoire du temps présent, ce qui revient à mon avis à un appauvrissement de la recherche. Cet unique institut, financé par des fonds publics, est exposé au risque de pressions. Cette concentration comporte le risque d’un renforcement de la pensée unique, de cette seule opinion qui soit encore admise.

Le ministre vous a joint tous les jugements condamnant des actes ou des commentaires haineux, racistes voire antisémites ou révisionnistes… Ils ne vous satisfont pas?

J’essaye de respecter la séparation des pouvoirs, donc je ne commenterai pas les jugements. J’ai l’impression toutefois qu’il y a confusion en ce qui concerne l’emploi de l’expression « appel à la haine ». Parfois, en parcourant ces jugements, je me demande où est l’appel à la haine lorsque certains expriment une opinion paraissant peut-être dégradante aux yeux d’autrui. Ils n’appellent pas pour autant à haïr. Mon devoir, en tant que membre du pouvoir législatif, est de rédiger des lois qui soient claires et respectueuses des conventions internationales.

Joe Thein a pourtant été exclu de l’ADR pour avoir souvent dérapé sur les réseaux sociaux. Est-ce, selon vous, un cas de liberté d’expression bafouée?

Oui et non. Joe Thein a parfaitement le droit, à mon avis, d’exprimer ses opinions sur Facebook. Je suis contre la censure et pour une liberté d’expression maximale à l’image du premier amendement de la Constitution des États-Unis. Même si quelqu’un dit quelque chose que je juge personnellement indéfendable, je dois pouvoir le supporter comme toute société démocratique doit pouvoir le faire.

Le risque pour une société est de loin plus grand lorsque l’on commence à restreindre la liberté d’expression, car cela ouvre la voie au totalitarisme. Même si je ne suis pas d’accord avec ce qu’a dit Joe Thein, je lui reconnais le droit de le dire. Il a été exclu de l’ADR parce qu’il appartient à un « club », un parti, qui a des règles. Une de nos règles est d’être respectueux envers nos concurrents sur la scène politique. Monsieur Thein n’a pas respecté cette règle. Il n’a donc pas été exclu simplement parce qu’il a exprimé une opinion sur Facebook. D’ailleurs, nul n’a porté plainte et le parquet n’a pas engagé de poursuites.

Il s’est empressé de créer un nouveau parti « Déi Konservativ », une concurrence sérieuse selon vous?

Non, pas du tout. Un parti politique a de l’avenir à partir du moment où il occupe un créneau sur la scène politique qui n’est pas encore occupé. Or, les conservateurs sont déjà représentés au sein de l’ADR. Son programme fondamental est une copie de celui de l’ADR et d’ailleurs il avoue s’en inspirer. La seule différence concerne le droit qu’il reconnaît aux homosexuels d’adopter des enfants, ce que nous refusons. Il défend un « droit à l’enfant », alors que nous défendons le « droit de l’enfant ». Je ne pense pas que Joe Thein puisse avoir un avenir politique avec ce parti.

Comment sont les rapports entre l’ADR et le CSV sur les bancs de l’opposition?

C’est une question complexe. En l’état actuel des choses, et en politique, ça peut changer très vite, le CSV peut avoir besoin de l’ADR à l’issue des prochaines élections législatives. Les relations, de ce point de vue, sont guidées du côté du CSV surtout par le fait qu’il ne peut pas nous écarter de l’échiquier politique.

Nous sommes donc un partenaire potentiel, ce que certains ont bien compris au sein du CSV alors que d’autres ont encore un problème avec un tel scénario. Sur le plan de la coopération à la Chambre des députés, elle n’est pas très intensive, mais les rapports humains sont bons, ce qui crée des conditions favorables en vue d’une éventuelle perspective de coopération, fût-elle ponctuelle.

Voulez-vous dire qu’aux yeux du CSV le personnel politique de l’ADR est devenu plus fréquentable?

Je dirai que les craintes comme la distance que l’on a voulu mettre entre l’ADR et le CSV s’effritent progressivement. Il y a encore une grande réticence vis-à-vis de l’ADR pour une certaine partie du CSV et qui est due, d’une part, à des positions politiques que nous défendons et, d’autre part, à des vieilles rancunes du temps de M. Juncker contre l’ADR. La réticence politique peut aussi s’expliquer par une mauvaise conscience.

Comment cela?

Parce que nous sommes, en tant qu’ADR, ce que le CSV était encore il y a environ 20  ans. Aujourd’hui, nous sommes les conservateurs et patriotes. Nous défendons les principes chrétiens, sans afficher le « C », alors que le CSV ne le fait plus. Je pense au droit à la vie ou encore à la politique familiale. Ces évolutions sont à l’origine d’une certaine mauvaise conscience et de rancunes de la part du CSV.

Et côté ADR, comment juge-t-on le CSV?

Il y a également chez nous certaines rancunes envers le CSV, des rancunes historiques mais également des rancunes dues à la façon abominable avec laquelle ce parti nous a toujours traités. Mais il y a un phénomène intéressant à l’ADR avec l’arrivée de plus en plus de nouveaux adhérents qui viennent du CSV. Ils ne se reconnaissent plus dans la politique du CSV comme notre président du parti, qui a quitté le CSV lors du débat sur l’euthanasie, ou la présidente de notre section des femmes qui a passé 29  ans au CSV avant de rejoindre l’ADR en raison de l’avortement.

D’une façon générale, nous estimons que la politique d’opposition du CSV est molle en comparaison avec la nôtre. Le CSV cherche visiblement à ménager ses relations avec les partis au gouvernement pour pouvoir trouver des alliés en vue d’une future coalition. Le CSV vote d’ailleurs souvent avec le gouvernement et se distingue très peu de sa politique. Un vrai changement ne peut venir que de l’ADR.

Comment se déroule la préparation des élections communales à l’ADR? Serez-vous partant à Bascharage?

Je ne suis pas la personne la mieux placée pour vous parler de la préparation des communales, car j’ai l’habitude de m’occuper de ce qui me regarde directement  : politique étrangère, défense, politique familiale, etc. J’ignore encore dans quelles communes l’ADR sera présent ou pas. Nous avons encore le temps jusqu’en septembre, date limite pour le dépôt des listes. Quant à moi, je ne suis pas encore certain. Beaucoup de gens me posent la question, mais je n’ai pas encore pris ma décision, je me réserve encore un peu de temps pour la réflexion.

Quel regard portez-vous sur la campagne de l’élection présidentielle en France?

Je me suis juré de ne pas m’immiscer dans le débat politique dans d’autres pays.

Le risque d’un Frexit vous inquiète-t-il?

Pour être clair sur ce sujet, je vous dirai que je ne souhaite pas la victoire d’un parti dont le but est d’établir un protectionnisme économique qui nuirait gravement aux États voisins. Je ne nommerai pas un parti politique particulier, mais les intérêts de mon pays vont dans le sens d’une économie ouverte, d’un marché ouvert, d’une liberté de circulation entre les régions et d’une stabilité monétaire. Dans certains scénarios, tout cela serait remis en question.

Geneviève Montaigu

Fernand Kartheiser en bref

Député. Fernand Kartheiser, né le 30 septembre 1959 à Luxembourg, est élu député pour la première fois en 2009 et réélu en 2013.

Diplomate. Il a derrière lui une carrière de diplomate, en poste en Grèce, en Roumanie, en Allemagne et aux États-Unis.

Agent double. En 2008, il confirme avoir été un agent double pour les Américains et les Russes.

Auteur. Sous le pseudonyme Fernand Le Chartreux, il écrit un polar en luxembourgeois (Helleg Muecht).

Migration. Fernand Kartheiser, membre du DP depuis ses jeunes années, migre vers l’ADR en 2008.

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