Selon des chiffres de l’Unicef, près de 22% des enfants résidant au Luxembourg sont exposés à la pauvreté. Le Comité pour les droits de l’enfant pointe lui aussi des vulnérabilités auxquelles sont confrontés les jeunes.
Vendredi, la Chambre des salariés (CSL) dénonçait dans son avis sur le budget de l’État 2018 le paradoxe qu’un pays aussi riche que le Luxembourg voit malgré tout la pauvreté de ses citoyens grimper en flèche. Si la situation n’est pas simple pour les adultes confrontés à ce phénomène, elle est encore plus dure à vivre pour les enfants de tout âge, obligés d’accepter le sort de leurs parents. «Certains n’ont même pas trois euros pour se payer une carte de membre dans une Maison de la jeunesse», confie une éducatrice, travaillant dans le sud du pays.
Les chiffres qui confirment ce triste constat ont été livrés ces derniers jours par l’Unicef mais aussi l’ORK, l’Ombuds-Comité pour les droits de l’enfant. Le moment choisi pour la publication de leurs rapports respectifs n’est pas un hasard. Le 20 novembre marque en effet l’anniversaire de l’adoption, en 1989, de la convention des droits de l’enfant par l’Assemblée générale des Nations Unies.
Vingt-huit ans plus tard, la situation des enfants dans le monde ne s’est pas forcément améliorée. «Au niveau mondial, chaque jour, près de 16 000 enfants de moins de 5 ans meurent de causes que l’on pourrait éviter. Deux cent soixante-quatre millions d’enfants et de jeunes ne vont pas à l’école. Des centaines de millions d’enfants sont victimes de la violence, de conflits armés ou d’autres crises. Malgré les énormes progrès accomplis au cours des dernières décennies, 385 millions d’enfants continuent à vivre dans l’extrême pauvreté», déplore ainsi le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) dans son rapport.
Des revenus trop peu élevés
Si la situation reste donc dramatique au niveau planétaire, elle n’est également pas très encourageante au Grand-Duché, qui, rappelons-le, figure grâce à sa croissance économique record parmi les pays les plus riches au monde. «Au Luxembourg, 21,7 % (des enfants) vivent dans un ménage dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian», indique l’Unicef en citant les derniers chiffres disponibles en la matière par le Statec. Ce revenu médian par ménage était de 4 514 euros en 2015. Avec un revenu inférieur à 60 %, on arrive à un budget disponible par ménage et par mois de 2 708,40 euros. Le salaire social minimum est actuellement de 2 398,30 euros bruts pour les personnes âgées de plus de 18 ans et qui disposent d’une qualification.
Si l’on considère que le logement reste la dépense la plus importante de tous les ménages au Grand-Duché, on peut vite deviner quel calvaire vivent parfois les enfants grandissant dans des familles à bas revenu. Et ce malgré les importantes prestations sociales versées par l’État. «On fait beaucoup de visites sur le terrain et il nous arrive régulièrement de tomber sur des familles qui, avec cinq ou six enfants, vivent dans 40 m² à peine. Ils sont nombreux à chercher depuis des années un logement plus spacieux, mais souvent en vain en raison de leur situation financière», constate René Schlechter, président de l’ORK.
Au vu de cette situation déplorable, le Comité pour les droits de l’enfant a en toute logique placé la problématique du logement dans ses dix recommandations adressées dans son rapport 2017 au camp politique.
Accent mis sur la situation des migrants
«L’ORK constate que beaucoup d’enfants sont en détresse du fait des difficultés de leurs parents de trouver un logement adéquat et digne. L’ORK plaide pour une politique volontariste de création de logements sociaux», peut-on ainsi lire dans le rapport de 180 pages, remis hier au président de la Chambre des députés, Mars Di Bartolomeo, et au Premier ministre, Xavier Bettel.
Le chef du gouvernement a insisté dans sa première réaction que «l’intérêt supérieur de l’enfant» doit primer. Or la situation très tendue sur le marché immobilier au Grand-Duché n’arrange en rien les choses. Bien des efforts seront encore nécessaires pour combler le gouffre énorme en termes de logements à prix abordable, situation aussi provoquée par passivité des gouvernements précédents en la matière.
En attendant, bien d’autres vulnérabilités existent et celles-ci menacent un épanouissement correct des mineurs habitant au Luxembourg. L’ORK a décidé de pointer dans son rapport 2017 les «droits de l’enfant et les enfants en situation transfrontalière et internationale». «Notre objectif est de sensibiliser au fait que notre population est aujourd’hui très hétérogène. Cela amène une série de problèmes, comme par exemple l’enlèvement d’enfants par un père en cas de conflit entre les parents. La situation massive de migrants mineurs non accompagnés nous préoccupe aussi beaucoup», note René Schlechter.
Pour réussir à offrir aux enfants un avenir meilleur, l’ORK, mais aussi des entités comme l’Unicef, dépendent du camp politique. «Nos recommandations ne connaissent pas toujours les suites nécessaires», déplore René Schlechter. Après les photos prises fièrement lundi, lors de la journée mondiale de l’Enfance, il reviendra aussi bien au gouvernement qu’à la Chambre des députés de prendre leurs responsabilités.
David Marques
Les dix recommandations de l’ORK
›Pour lutter contre les mariages des mineurs et les mutilations génitales, l’ORK souhaite que la convention d’Istanbul sur la protection juridique des victimes soit adoptée rapidement par la Chambre.
›En cas de séparation des parents, le droit de garde et le droit de visite restent des enjeux majeurs. L’ORK appelle le camp politique à voter «le plus rapidement possible» la réforme de la loi sur le divorce avec l’instauration d’un juge aux affaires familiales.
›Pour ce qui est des adoptions, l’ORK plaide notamment pour que «l’autorité centrale en matière d’adoption internationale soit également compétente pour les adoptions nationales».
›Les enfants de réfugiés sont une autre préoccupation majeure de l’ORK. Dans ce contexte, le comité dénonce «les conditions de logement dans les foyers», qui seraient «souvent marquées par un certain degré de délabrement».
›En matière de lutte contre la traite des enfants, l’ORK revendique que «pour rendre plus visible la problématique de la traite, il faudra l’incorporer dans les campagnes de sensibilisation et les formations destinées au grand public, aux enseignants, aux professionnels du secteur socio-éducatif et de la santé».
›L’ORK s’engage aussi pour la prolongation du projet Hariko qui, annoncé comme «éphémère», a pourtant «fait ses preuves comme lieu de rencontre et d’échange pour les jeunes».
›Le décrochage scolaire reste un problème majeur au Grand-Duché. Ici, l’ORK «salue» toutefois «les efforts qui sont faits pour mieux comprendre et prévenir le décrochage scolaire».
›Des bons points sont également attribués pour le lancement du plan national afin de mieux prendre en charge les maladies rares. Des compliments sont aussi faits pour la finalisation de la loi sur la protection de la jeunesse.
›L’ORK souhaite cependant lutter avec plus de détermination encore sur les incohérences qui existent au niveau administratif concernant le versement des allocations familiales.
›Pour finir, en ce qui concerne l’imposition des familles monoparentales, l’ORK «demande au gouvernement et au législateur de reconsidérer la question de l’imposition» de ces familles «en ayant bien à l’esprit le fait d’un risque accru de pauvreté des enfants élevés par un parent seul».