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[Critique ciné] «Rebel», le jihad filmé de façon radicale


Les réalisateurs ne racontent pas une histoire vraie; ils en racontent cent, mille… (Photo Bac Films)

Avec Rebel, Adil El Arbi et Bilall Fallah tentent de comprendre les enjeux de la radicalisation et ses conséquences.

Adil El Arbi et Bilall Fallah sont nés respectivement en 1988 et 1986. Amis d’enfance devenus un duo de réalisateurs, les deux Belges d’origine marocaine faisaient leurs premiers pas dans le cinéma quand on commençait à entendre parler pour la première fois de jeunes garçons, pour la plupart belges et français d’origine maghrébine, partis rejoindre les rangs de Daech. C’est à ce moment, vers 2014, que l’organisation terroriste entre dans la guerre civile en Syrie. Une guerre dans une guerre, toutes deux lointaines, que l’attentat contre Charlie Hebdo, celui du Bataclan et celui de l’aéroport de Bruxelles-Zaventem n’allaient pas tarder à ramener en plein cœur de l’Europe.

Parallèlement à Black (2015), une relecture explosive de Roméo et Juliette au milieu d’une guerre de gangs bruxellois qui avait marqué leur premier succès, Adil et Bilall avaient commencé à s’intéresser au phénomène complexe de la radicalisation de ces jeunes Européens, dans l’idée d’en faire un film. Pour une raison simple : des jeunes qu’ils connaissaient sont partis combattre en Syrie, à un moment où personne, en Occident, ne voyait de raison de se pencher sur le sujet.

De Bruxelles à Raqqa

Le sujet est pour le moins risqué. De Bruxelles à Raqqa, les réalisateurs étendent leur territoire pour observer, sinon tenter de comprendre, les enjeux de la radicalisation et ses conséquences. Voici donc Kamal (Aboubakr Bensaihi), jeune homme qui combine ses deux passions, le rap et la moto, dans des clips à l’américaine. Pour se sentir utile, peut-être, il entreprend de se rendre en Syrie pour faire de l’humanitaire, aider une population victime de ses multiples bourreaux.

Une posture un peu naïve : à peine arrivé, il est enrôlé de force dans les rangs de Daech et envoyé dans un camp d’entraînement où, chaque jour, il côtoie la barbarie. À Molenbeek, Nassim (Amir El Arbi) regarde avec admiration ce grand frère dont les recruteurs de Daech vantent le courage et espère pouvoir le rejoindre un jour. Face à cette situation, Leïla (Lubna Azabal), la mère des deux garçons, se lance à corps perdu dans une double quête, celle de retrouver son aîné et de sauver son plus jeune fils.

Les réalisateurs étendent leur territoire pour observer, sinon tenter de comprendre, les enjeux de la radicalisation et ses conséquences

S’ils sont devenus de véritables sensations depuis que le légendaire producteur Jerry Bruckheimer les a repérés, puis leur a offert de réaliser Bad Boys for Life (2020), troisième opus de la saga d’action avec Will Smith et Martin Lawrence, Adil El Arbi et Bilall Fallah réalisent avec Rebel leur film le plus personnel et, par conséquent, le plus ambitieux.

Grâce à son sujet, d’abord, qui reste largement tabou dans la fiction – avec un curieux sens du timing, les premiers films sur les attentats de Paris arrivent simultanément dans les salles, faisant, eux, le choix consensuel de placer la caméra du côté des victimes (Revoir Paris, d’Alice Winocour) ou des policiers (Novembre, de Cédric Jimenez). Les réalisateurs ne racontent pas une histoire vraie; ils en racontent cent, mille… Et avec un vrai sens du style, que le duo biberonné au cinéma d’action américain des années 1980 et 1990, nous fait sentir sans attendre, avec d’époustouflantes scènes de guerre, bruyantes et chaotiques.

Un spectre d’influences

Avec son découpage en chapitres aux titres chantés et une recherche esthétique dans la représentation des différents territoires (la Belgique est froide et mise en scène de façon dépouillée; la Syrie brûle sous les tons chauds et est filmée, caméra à la main, comme un cauchemar), Rebel a les allures d’un conte où, du début à la fin (les deux extrêmes de la radicalisation qu’ils représentent : l’endoctrinement et la guerre), vivre heureux avec beaucoup d’enfants n’est pas une option.

Jamais Rebel ne perd de vue la responsabilité de son propos. Ce qui impressionne, c’est que les cinéastes tiennent leur scénario si bien qu’ils le traduisent avec des images spectaculaires et un spectre d’influences allant du naturalisme de Jacques Audiard ou d’Hirokazu Kore-eda à Disney, que l’on retrouve dans certains personnages (les deux femmes impuissantes qui entament malgré elles une mission salvatrice; les recruteurs du jihad qui utilisent les mêmes techniques que le serpent de The Jungle Book) et à plus forte raison encore dans d’inattendues séquences musicales.

Celles-ci sont le véritable choc esthétique du film, hérité du clip vidéo et imaginant en rap – une musique d’«infidèles» – des sentiments que le personnage n’ose penser. Adil et Bilall ont réalisé avec Rebel (coproduit au Luxembourg par Calach Films) le grand film auquel ils tenaient, autant un coup de cœur qu’un coup de poing.

Rebel d’Adil El Arbi et Bilall Fallah. Avec Aboubakr Bensaihi, Lubna Azabal, Amir El Arbi… Genre drame. Durée 2 h 15

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