Voilà un film qui tombe à pic : quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle française, qui aura lieu dimanche, Delépine et Kervern font un dernier point sur cinq ans de macronisme, après avoir dynamité l’obsession de la richesse (I Feel Good, 2018) et donné une fable sur la poursuite du combat des Gilets jaunes (Effacer l’historique, 2020). Pour leur dixième film, les inséparables Grolandais réutilisent un procédé qu’ils ont déjà expérimenté avec brio par le passé, à savoir la sacrée alliance (à défaut d’être une alliance sacrée) de deux personnages que tout oppose et leurs improbables tribulations dans une France aussi extravagante que – tristement – réaliste. À la différence que ces personnages-là ne sont plus des marginaux ou des paumés de la société, mais des hommes politiques. Et que leur opposition est réduite à sa plus simple expression : l’un est de la droite dure, l’autre de la gauche molle.
En même temps tire son titre d’un tic de langage de l’actuel président-candidat français, devenu une expression phare de son quinquennat, traduisant son positionnement «ni de gauche ni de droite». «En même temps», c’est se revendiquer de tout et de son contraire. Mais le duo de cinéastes prend l’expression à la lettre : pour que les deux personnages avancent, ils doivent avancer en même temps, coordonner leurs pas pour ne pas tomber. S’ils y sont contraints, c’est parce qu’ils ont été piégés. La soirée commençait pourtant comme toutes les autres pour le maire d’extrême droite Didier Bequet (Jonathan Cohen) et celui du village voisin, l’écolo Pascal Molitor (Vincent Macaigne) : l’un s’adonnait à quelques magouilles, mensonges et sorties racistes et homophobes, l’autre s’attirait les foudres des chasseurs. Les deux devaient se retrouver pour discuter de la construction d’un parc de loisirs à l’endroit où se trouve une forêt vierge, avant d’être pris pour cible par un collectif d’activistes féministes – les «Colle Girls» – qui, à l’aide d’une glu extraforte, les colle ensemble, dans une position pour le moins inconfortable.
Et voilà nos deux zozos de la politique, collés au niveau de la ceinture, partis pour une nuit qui va se dérouler au hasard – parfois forcé – des rencontres : un vétérinaire (Thomas VDB) qui leur apprend les bases de la marche du quadrupède; un patron de «diner» américain (François Damiens); une ex (Lætitia Dosch) adepte du yoga et de l’homéopathie… Chacun des deux maires y va de ses connaissances, à la recherche d’une aide pressante, simplement pour éviter de se taper la honte aux urgences. Au fil du récit, le concept potache amène le scénario à prendre maints et maints détours pour livrer un discours explosif sur l’état du monde politique français, entre le facho qui se justifie en se faisant passer pour un contestataire («Quand j’étais communiste, je vendais des chaussettes Che Guevara») et l’écolo qui, en tenant ses promesses, déçoit jusqu’à ses employés de mairie. Ces zigzags sont peut-être finalement la véritable ossature autour de laquelle s’articule le script, y compris pour ses moments les plus absurdes (dans les locaux de la police municipale, les agents accueillent très mal le maire de droite et partent dans des élucubrations écologistes en citant la pensée de Claude Lévi-Strauss; plus tard, un autre agent municipal fait de la prévention contre l’alcoolémie au volant… en chanson!).
Delépine et Kervern n’en donnent pas moins une attention toute particulière aux détails, dont la présence dans le plan n’est pas forcément soulignée mais qui a toujours son mot à dire : le slogan de campagne de Bequet, «Faire la France grande à nouveau», traduction littérale de la devise de Donald Trump; les prix de l’essence qui augmentent en temps réel et à vitesse grand V, clin d’œil aux Gilets jaunes mais qui a pris un tout autre sens depuis l’invasion russe de l’Ukraine… Dans ce monde complètement déréglé, Jonathan Cohen et Vincent Macaigne – issus eux aussi, comme leurs personnages, de deux écoles d’humour complètement différentes – livrent deux performances parfaitement caricaturales et à pleurer de rire. En même temps, pendant intentionnellement balourd de la fable punk Le Grand Soir (2012), se dirige brillamment vers une morale véritablement utile et engagée, mettant en exergue deux réalités, celle de l’urgence écologique et celle d’un combat féministe, auxquelles les bonnes personnes n’ont toujours pas pris part. Peut-être qu’avec cette double prise de conscience, nos deux élus sauront s’extirper du piège à cons politique dans lequel ils se sont fourrés et le refermer sur d’autres. Force est de constater qu’en France, en cette période électorale, tout le monde en est encore prisonnier.
Au fil du récit, le concept potache amène le scénario à livrer un discours explosif sur l’état du monde politique français
« En même temps » de Benoît Delépine et Gustave Kervern
Avec Vincent Macaigne, Jonathan Cohen, India Hair, Jehnny Beth…
Genre comédie
Durée 1 h 46